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Un détail inutile ? : Jean-Clément Martin interroge le mythe du tannage des peaux humaines sous la Révolution

24 March 2013 | PAR Jean-Paul Fourmont

Jean-Clément Martin est professeur émérite de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Il a dirigé l’Institut d’histoire de la Révolution française et, après de nombreux ouvrages, il vient de publier Un détail inutile ? Le dossier des peaux tannées, récemment paru aux éditions Vendémiaire.

LES RUMEURS
Ces rumeurs sur le tannage de peaux humaines durant la Révolution française procèdent de certaines dérives jacobines. Des hommes auraient en effet été capturés, puis exécutés et écorchés, avant que leur peau soit tannée pour, ensuite, confectionner des objets ou relier des livres…

Le fait est attesté et se déroula, pendant la Révolution française et plus spécifiquement au cours de la Terreur, près d’Angers. Certaines sources mentionnent l’écorchement de quelques trente-deux hommes. Cela se serait passé sur ordre d’un officier français nommé Pecquel, qui aurait ensuite fait traiter les peaux par un tanneur d’Angers.

LÉGENDE NOIRE
Le fait d’écorcher un homme existe depuis l’Antiquité, ce n’est pas né avec la Révolution française, loin s’en faut. Mais la question qui se pose est celle de savoir s’il s’agissait d’une bavure isolée, ou bien d’un nouvel avatar de la légende noire de la Révolution, ou bien d’une entreprise d’Etat.

L’auteur explique que des membres du comité de salut public furent accusés d’avoir installé à Meudon une tannerie de peaux humaines, pour en faire des culottes ou pour relier des ouvrages sur la Révolution française. Jean-Clément Martin est d’avis qu’il y eut certes des cas isolés, mais pas de pratique généralisée.

POURQUOI ÉVOQUER CETTE AFFAIRE ?
La circulation de ce genre d’histoire produit incontestablement des effets nocifs, et de plus personne ne la conteste vraiment. C’est pourquoi, avance l’historien, il importe de vérifier la portée de telles rumeurs et de décrire le contexte de l’époque, lequel a permis de commettre de telles atrocités. Tel est l’objet de cette enquête d’excellente facture.

LA RÉVOLUTION N’EST PAS UN ÉVÉNEMENT, C’EST UNE ÉPOQUE
Jean-Clément Martin inscrit ces tragiques événements dans les perspectives plus larges de l’histoire de l’écorchement, supplice ou pratique chirurgicale, voire sociale, repérable de l’Antiquité à nos jours. Pour l’auteur, il serait illusoire de vouloir tordre le cou aux légendes. L’auteur rappelle, à cet égard, que « la pyramide des martyrs obsède la terre », comme l’écrivait René Char.

Jean-Clément Martin explique que la Révolution fut un évènement exceptionnel, qui continue d’exacerber les passions les plus vives. De plus, dans tous les pays frappés par le phénomène de la guerre civile, il y eut des exactions. La Révolution ne fut pas la période la plus noire de notre histoire. Il ajoute que la Vendée ne fut jamais été visée par des ordres génocidaires, mais plutôt par des instructions brutales contre les brigands. De plus, la violence nue ne fut pas une originalité révolutionnaire, elle fut pratiquée des deux côtés. Comme les relations étaient tendues entre le peuple et les élites, les élites républicaines se servirent des violents quand cela servait leur intérêt, puis elles les réprimèrent selon les aléas de la conjoncture politique.

Barnave s’interrogeait parfois à propos de tout le sang déversé par la Révolution : « Ce sang qui vient de se répandre était-il si pur ? » En tout état de cause, les décapitations illustrent le nouveau pouvoir du peuple, lequel remplaça le roi qui terrorisait son peuple, comme lors de la révolte des camisards, par exemple. La Révolution ne réussit point à canaliser cette violence, qui sera exploitée ensuite par Napoléon.

L’étude du professeur Martin est tout à fait remarquable et éclairante ! L’universitaire ne se limite pas à rapporter un fait divers en le généralisant abusivement pour jeter le discrédit sur une période centrale et fondatrice dans l’histoire de France, comme c’est pourtant la mode… Il va plus loin en poussant sa réflexion sur la violence et sur les nombreuses revendications mémorielles qui hantent la France, dont certains parlementaires de droite et d’extrême droite se sont dernièrement faits les chantres.

Jean-Clément Martin, Un détail inutile ? Le dossier des peaux tannées. Vendée, 1794, édition Vendémiaire, février 2013, 155 p., 16

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Jean-Paul Fourmont
Jean-Paul Fourmont est avocat (DEA de droit des affaires). Il se passionne pour la culture, les livres, les gens et l'humanité. Contact : [email protected]

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