Théâtre
“Zypher Z”, une satire acide et déjantée de notre société

“Zypher Z”, une satire acide et déjantée de notre société

06 February 2022 | PAR Lucine Bastard-Rosset

Zypher Z dépasse les frontières de la réalité pour plonger dans un univers dystopique où l’homme n’a plus vraiment sa place. Une fable désenchantée qu’il est possible de découvrir au Monfort Théâtre du 3 au 19 février. Une fable en pleine actualité, qui tourne en dérision la politique et les campagnes présidentielles.

Depuis sa création en 2012, le Munstrum Théâtre propose des spectacles au style et à l’esthétique bien définis. Cette singularité artistique leur permet de créer des œuvres qui questionnent le monde contemporain de manière inédite. Les failles en sont dévoilées, on plonge dans un univers désabusé. Dérision, humour noir, violence ; rien n’arrête cette troupe qui s’engouffre dans les méandres du monde et de l’humanité.

Ce regard noir est ponctué d’humour. On rit face aux scènes, face aux obscénités prononcées. Certaines situations et comportements sont tournés au ridicule, des blagues sous la ceinture font tomber la tension et désacralisent les scènes. Zypher Z est construit autour de cette alternance entre des moments sombres et brutaux et d’autres burlesques et déphasés.

Une plasticité qui enveloppe … tout

Sur scène il n’y a aucun comédien. Ou plutôt, il y a des comédiens non identifiables. Ils sont devenus autres : robots, humanoïdes, animaux, humains. Cette mutation vers un autre corps se fait principalement par les masques – conçus par Louis Arene – qu’arborent chaque acteur. L’un est un singe, l’autre un éléphant ou encore une cafetière ; l’imagination n’a plus de limite. Ces masques modifient les visages, donnant naissance à des créatures. Même les humains ne semblent plus humains et deviennent d’étranges personnages.

A ces masques s’ajoutent les costumes tous plus extravagants les uns que les autres. Conçus par Colombe Lauriot Prévost assistée par Eloïse Pons pour les costumes, ils recouvrent la totalité du corps. La physionomie des comédiens est ainsi modelée, transformée. A cette plasticité matérielle s’ajoute une plasticité corporelle. Les gestes et les déplacements sont étudiés en fonction du rôle interprété. Les caractéristiques principales des animaux se répercutent sur le jeu. Les robots sont explorés dans une gestuelle mécanisée, hachée. Toutes sortes de techniques sont utilisées dans le but de parfaire cette imitation.

Étrange étranger qu’est mon double

Il y a Zypher et il y a Z ; Zypher Z, un humain devenu deux. Cette question de l’identité est le cœur de la pièce. Qui suis-je ? Qui est cet autre qui est également moi ? Zypher est un humain perdu dans un monde où l’homme a pratiquement disparu. Il n’en reste que quelques spécimens, devenus des larbins pour les animaux intelligents à la tête des institutions. Zypher souffre de cette solitude, de cette surcharge de travail. Personne ne le remarque, personne ne l’écoute ; il n’existe pas. Jusqu’au moment où … un être sort de son corps : Z. Z est Zypher, Zypher est Z.

Cette division d’un être en deux êtres distincts est marquée par une scène où la souffrance qu’éprouve Zypher est portée à son paroxysme. Une scène difficilement supportable, où le combat se fait contre soi-même. Zypher est plié par la douleur, son corps ne lui répond plus. Sa grosseur à l’épaule droite ne fait qu’enfler, elle le torture de l’intérieur, jusqu’à … l’explosion ! Zypher enfante de Z qui sort de son épaule par étapes, comme un enfant sort de l’utérus de sa mère. Il sort nu et se tortille sur le sol, il est apeuré, comme un enfant qui découvre la vie.

Ce dédoublement marque la naissance du refoulé. Z est Zypher, mais le Zypher que l’on ne connaît pas, celui qu’il a soigneusement écarté de sa vie. Z est son extrême opposé, et bien qu’ils soient physiquement semblables, Z est l’homme que n’a jamais été Zypher. Il gagne rapidement en popularité, il est drôle, on l’écoute, il se moque des règles, les enfreint, il a soif de pouvoir. Z devient le Zypher outrancier, extraverti. Il met des mots sur ce que Zypher a toujours tû, il abat ses cartes pour atteindre le pouvoir, quitte à commettre les pires crimes.

Un miroir de notre société ?

Zypher Z nous fait plonger dans un monde dystopique et imaginaire, qui caricature malgré tout le nôtre. Il est régi par les mêmes lois, les comportements entre individus sont identiques. Humiliations, violences, harcèlement, exploitation, déshumanisation, manipulations ; rien n’est laissé de côté. Est-ce un miroir de notre société ? C’est ce que semble dire le spectacle en mettant en exergue la folie meurtrière des hommes. Et puis, il y a cette intrigue politique, l’arrière-plan du spectacle. Zypher Z nous fait plonger en pleine campagne présidentielle ; quel sujet pourrait être plus actuel en 2022 ?

A ces scènes concrètes se mêlent des scènes beaucoup plus abstraites qui laissent percevoir l’inconscient de Zypher. La dernière partie du spectacle est carctérisée par “des scènes principalement visuelles, des tableaux symboliques qui tirent la dramaturgie vers une forme d’abstraction en s’adressant principalement aux systèmes nerveux et aux sens des spectateurs”, comme l’explique Louis Arene. La lumière prend possession du plateau, les effets stroboscopiques se multiplient et fragmentent les gestes. Les corps fusent de part et d’autre, se rencontrent et fusionnent.

Pour cette expérience sensorielle hors norme et pour son propos incisif et déjanté, Zypher Z est une pièce qu’il faut absolument découvrir !

 

Visuel : ©Jean-Louis Fernandez

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Lucine Bastard-Rosset
Après avoir étudié et pratiqué la danse et le théâtre au lycée, Lucine a réalisé une licence de cinéma à la Sorbonne. Elle s'est tournée vers le journalisme culturel en début d'année 2022. Elle écrit à la fois sur le théâtre, la musique, le cinéma, la danse et les expositions. Contact : [email protected] Actuellement, Lucine réalise un service civique auprès de la compagnie de danse KeatBeck à Paris. Son objectif : transmettre l'art à un public large et varié.

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