“Vue” : gros plan cocasse sur petites maniaqueries
Il y a eu Vu, désormais il y a Vue : ce spectacle iconique de la Cie Sacékripa connaît une seconde vie grâce à la transmission à la comédienne Amélie Venisse, ce qui a donné l’occasion au public du festival Méliscènes (Auray) de découvrir ce bijou d’humour pas très révérencieux. Ou comment la combinaison du clown et du théâtre d’objet peut mettre en lumière ce qu’ont de ridicule nos petites manies.
Soient trois rectangles délimités par des bandes blanches collées au sol, deux petits sur les côtés, un très grand face aux trois gradins qui l’entourent. Soit un rideau noir tendu au lointain en guise de fond de scène. Soit une table placée au centre du grand rectangle. Soit une femme, grande et tirée à quatre épingles, dont le déplacement parfaitement rectiligne se fait sur une ligne qui coupe le dispositif scénique. Tous les angles resteront-ils bien droits ?
Vue, comme Vu auparavant, c’est un spectacle reposant sur une proposition simple mais poussée dans ses dernières extrémités – ce qui est d’ailleurs l’une des marques de la compagnie Sacékripa. Si une femme – ou jadis un homme – compulsivement maniaque se présente au public avec son cortège de rituels précis autant qu’absurdes, combien de temps se passera-t-il avant qu’un grain de sable ne fasse tout dérailler… et quelles seront les conséquences ?
On s’en doute : évidemment, le rituel parfait se grippe, évidemment, la personne dont tout le précaire équilibre repose sur un contrôle absolu se retrouve précipitée dans une lutte acharnée pour reprendre le contrôle, le visage ravagé de tics nerveux. Si l’on y ajoute la participation du public, obtenue avec un brin d’autoritarisme, et la séduction d’une récompense faite de quelques chamallows, on obtient un cocktail assez détonnant.
Spectacle bouffon avant tout, Vue est aussi une drôle de petite symphonie autour des objets du quotidien, et des usages plus ou moins détournés qu’on peut en faire. A mesure que ces derniers se retrouvent de plus en plus décalés de ce qui nous est familier, il prennent un aspect nouveau, aliéné, qui, par contagion, renforce l’aura d’étrangeté qui nimbe le personnage.
Avec trois fois rien – mais avec une sévère dose de talent pour l’interprétation totalement exagérée d’un personnage de l’extrême – Sacékripa arrive à écrire un spectacle féroce, drôle, parfois à la lisière du dérangeant, qui est une parabole – musclée – des petites habitudes que nous fétichisons à mesure que le temps passe et que nous oublions de nous observer. Dans ce miroir déformant tendu face au public, chacun.e est invité.e à voir un petit bout de soi-même. Parce qu’aussi engoncé dans ses manies soit-il, ce personnage, malgré ses travers disproportionné, n’en est finalement pas moins un humain avec ses faiblesses, qui nous renvoient aux nôtres.
Léger, amusant, habilement écrit : aucun doute, un spectacle encore appelé à tourner…
GENERIQUE
De : Étienne Manceau, Sylvain Cousin
Avec : Amélie Venisse
Administration : Lucile Hortala