“Violences”, de Léa Drouet aux Amandiers : une belle mise en scène de la violence légitime
Les Amandiers programment jusqu’au 10 octobre Violences, la nouvelle pièce de Léa Drouet, créée à La Criée en septembre de cette année dans le cadre du festival actoral. Une pièce qui s’intéresse moins à la violence en elle-même qu’à sa représentation.
De la petite à la grande histoire
Une représentation d’abord amenée par l’histoire familiale, celle de Mado, la grand-mère de la metteuse en scène-narratrice, enfant cachée durant la guerre.
Nous suivons son périple clandestin à travers la France grâce à la voix de sa petite-fille, troublée par une légère sonorisation, et les immeubles en modèles réduits de plastique qui jonchent la scène et sont bougés par la performeuse au gré de ses récits.
Puis, des années 1940 aux années 2010, Léa Drouet dresse un continuum entre le destin de sa grand-mère Mado et celui de Mawda, petite fille kurde tuée par un policier lors d’un convoi, lui aussi clandestin, qui devait la mener en Angleterre avec ses parents et son frère.
Deux histoires intimes qui racontent chacune un violent chapitre d’histoire qu’il serait si facile d’occulter.
Une sobre mise en scène du pouvoir des images
L’enjeu du spectacle est donc de donner voix et image à ces trajectoires banales et invisibles. Pour la voix, il y a tout d’abord celle de cette grand-mère qui nous parvient floutée par la magie du travail du son. Du côté de l’image, il y a ces tas de sable et ces modèles réduits fluos proches des Duplo qui figurent à hauteur d’enfant les longs trajets migratoires.
Le combat contre l’oubli et le déni se fait aussi par le recours au journalisme d’investigation : c’est grâce à la contre-enquête d’un journaliste que lumière sera faite sur le meurtre légal de Mawda, quand la rumeur publique imputait sa mort à ses propres parents, qui se seraient servi de son corps comme bouclier humain.
La voix de la déréalisation
La paronymie entre le prénom des deux enfants, Mado et Mawda, fait signe vers le conte et la légende.
En effet, malgré le recours à des faits tout droits venus de la réalité, le choix de Léa Drouet est d’éviter toute représentation réaliste de ces événements. Dans l’écriture du texte, tout d’abord : outre ces deux prénoms, aucun nom propre n’est donné. L’Angleterre est la “Grande Île”, la Belgique “le pays où je ne suis pas née mais où je vis”… Des périphrases qui inscrivent ces histoires dans l’enfance des contes de fées, et confèrent aussi, du fait de leur abstraction, une dimension universelle à ces parcours.
Enfin, la scénographie et les jeux de lumière participent aussi de cette déréalisation : les immeubles en plastique sont de simples parallépipèdes aux couleurs vives, pouvant représenter les villes de Bruxelles comme de Paris ; les variations lumineuses, parfois douces, parfois brutales, plongent la scène dans l’obscurité et rendent ces habitations fluorescentes, à la manière des lumières qui, dans les contes de fées, guident à travers bois le Petit Poucet vers la maison de l’Ogre ou les animaux de la ville de Brême vers celle des voleurs.
Léa Drouet nous propose ici un spectacle qui, tout en s’inspirant du réel, s’extrait avec grâce du fait divers.