Théâtre
“Véro 1ère, Reine d’Angleterre”: les 26 000 couverts continuent de cabotiner

“Véro 1ère, Reine d’Angleterre”: les 26 000 couverts continuent de cabotiner

03 August 2019 | PAR Mathieu Dochtermann

Les 26 000 couverts sont reconnus, depuis plus de 20 ans, comme l’une des troupes de théâtre de rue les plus créatives, alors même qu’ils ne dédaignent pas de jouer en salle. Véro 1ère, Reine d’Angleterre est leur dernière création, présentée du 30 juillet au 3 août dnas le cadre du festival Paris l’été. Un délire très second degré et très habilement écrit sur le destin hénaurmément mélodramatique de Véro, dont la trajectoire improbable la mènera du trottoir à Buckingham Palace… et au-delà. Très bien interprété et très drôle, mais finalement moins fou, moins boulversant d’inventivité, que les spectacles que la troupe commettait à l’orée des années 2000.

Les pros du second degré, un peu sur la retenue

Véro 1ère, Reine d’Angleterre, c’est avant toute chose une mise en abîme, comme les 26000 couverts et Philippe Nicolle les affectionnent.

Mise en abîme d’abord d’un genre théâtral, le mélodrame, étiré et déformé ici jusqu’à atteindre des proportions gigantesques, jusqu’à se retourner sur lui-même pour s’observer. Une mise à distance ironique qui libère les rires: une proposition qui rit de son sujet autant qu’elle rit d’elle-même. Dans cette veine, le spectale est redoutablement bien écrit. Il prend sa place sans démériter au milieu de toutes les outrances du même genre qui ont ponctué l’histoire de l’humour français – on pense notamment aux Nuls ou aux Inconnus.

Mise en abîme, aussi, d’une manière de faire du théâtre, dans un geste d’auto-caricature. Il s’agit d’entourer la représentation d’un deuxième niveau de jeu, en proposant cette fausse famille Stutman, une troupe présentée comme l’une des dernières familles de théâtre forain. Là aussi, en forçant le trait, un trouve une représentation douce-amère des charmes comme du grotesque de cette forme de théâtre, entre DJ insupportable et stand de barbe-à-papa.

Si le premier thème, la satyre du mélodrame, est parfaitement maîtrisé, et tire du public de nombreux éclats de rire, en revanche le deuxième thème est plus poussif. Malgré des caravanes-coulisses et des stands à vue, il y a extrêmement peu de jeu hors de la scène, à part pendant les entractes… et encore. Le dialogue entre les deux dramaturgies est minimal à en friser l’inexistant. C’est pourtant cet exact dialogue qui est la marque de fabrique des 26 000 couverts, l’endroit où s’exprime le mieux leur génie – mais on a le sentiment qu’ils n’ont pas creusé dans cette direction cette fois-ci, alors même que le dispositif recelait des trésors de dingueries absurdes dont la troupe a normalement le secret.

Magnifiques interprètes pour une scénographie inspirante

Pour autant, dans ce périmètre finalement rétréci à ce qu’il se passe sur la scène foraine, la proposition vaut le détour.

L’interprétation est impeccable. Il s’agit la plupart du temps de jouer à jouer – ou de jouer à mal jouer – et tout spectateur ayant beaucoup fréquenté les théâtres sait à quel point c’est un exercice difficile, dont les comédiens ne s’acquittent pas toujours avec justesse. Ici, rien à dire: cela marche excellemment. Toute la distribution est au niveau, emmenée par Ingrid Strelkoff dans le rôle-titre, et Denis Lavant qui s’éclate visiblement à incarner les personnages les plus improbables.

Au-delà, le spectacle est truffé de belles trouvailles visuelles – notamment la scène finale, dont on laisse la surprise au spectateur, mais qui a recours à certaines astuces de manipulation pour créer un effet assez délectable, entre marionnette et prestidigitation.

La mise en scène est vive et met joliment en valeur l’écriture, en accompagnant et soulignant les ruptures très nombreuses, les retournements de situation désopilants dont le texte est truffé. Sans doute, comme on l’a dit, le hors-champ des coulisses à vue aurait-il mérité un traitement plus soigné.

La scénographie et le décor méritaient en effet qu’on s’en empare, vraiment, et non qu’on fasse semblant de jouer avec. L’univers d’un théâtre forain suranné, un peu déglingué, parfaitement ignorant de sa propre kitchitude, est particulièrement réussi. Tout, jusqu’au panneau “Mélodrames Stutman” magnifiquement souligné de lumières clignotantes, est dans un équilibre très subtil entre l’hommage et l’ironie moqueuse, entre la déclaration d’amour et la petite pique mordante. Peut-être l’écriture aurait-elle été plus réussie, dans cette dimension, si elle était partie de l’objet, plutôt que de lui pré-exister.

Un spectacle qui mérite d’être découvert

En somme, si on reste un peu sur sa faim, c’est parce que l’on a en mémoire – c’est injuste mais c’est inévitable – un trésor accumulé de spectacles passés des 26 000 couverts, qui étaient des monuments d’originalité, de décalage, de drôlerie. Du coup, ce Véro 1ère, Reine d’Angleterre, malgré ses nombreux mérites, laisse une petite impression de tièdeur, de manque d’audace ou d’inventivité.

Mais cela cache l’essentiel: le fait qu’il s’agit, tout de même, d’excellent théâtre, drôle et très bien interprété. Les membres du public qui découvraient les 26 000 couverts se sont amusés comme rarement, et garderont un très bon souvenir de leur soirée dans la cour du Centre Culturel Irlandais.

Et, au final, n’est-ce pas cela qui compte?

Texte : Gabor Rassov
Mise en scène : Philippe Nicolle
Avec (jeu, musique, manipulation) : Se?bastien Coutant, Patrick Girot, Vale?rie Larroque, Denis Lavant, Julien Lett, Daniel Scalliet, Ingrid Strelkoff
Technique : Michel Mugnier, Be?ranger Thiery, Lise Le Joncour
Cre?ation musicale : Daniel Scalliet
Assistanat a? mise en sce?ne : Lise Le Joncour
Construction Sce?nographie Accessoires : Patrick Girot, Julien Lett, Michel Mugnier
Lumie?res : Herve? Dile? assiste? de Be?ranger Thiery
Costumes : Camille Perreau avec Laurence Rossignol
Postiches et maquillage : Lucie Pfeiffer’Ova
Re?gie ge?ne?rale : Daniel Scalliet
Avec l’aide de : Christophe Balay, Charlotte Delion, Franc?ois Emmanuelli, Alexandre Flahaut, Laetitia Gautier, Claire Jouet, Alain Verdier
Coordination compagnie et tourne?e : Lise Le Joncour
Administration production : Marie-Violaine Masson puis Marion Godey assiste?e de Gae?tan Billier et Catherine Euvrard
Production diffusion : Claire Lacroix

Visuels: (c) Christophe Raynaud de Lage

 

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Mathieu Dochtermann
Passionné de spectacle vivant, sous toutes ses formes, des théâtres de marionnettes en particulier, du cirque et des arts de la rue également, et du théâtre de comédiens encore, malgré tout. Pratique le clown, un peu, le conte, encore plus, le théâtre, toujours, le rire, souvent. Critère central d'un bon spectacle: celui qui émeut, qui touche la chose sensible au fond de la poitrine. Le reste, c'est du bavardage. Facebook: https://www.facebook.com/matdochtermann

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