
Très réussie création des “Chaises” de Ionesco par Stéphanie Tesson
Dans la petite salle du Poche Montparnasse pour Les Chaises d’Eugène Ionesco, le couple Catherine Salviat – Jean Paul Farré dirigé par Stéphanie Tesson nous invite à leur délire, leurs atermoiements et leurs divagations tristes. Et c’est déjà culte.
Le désenchantement des laissés pour compte
Le théâtre de l’absurde d’Eugène Ionesco se résume dans cette farce aigre-douce et mystérieuse. Et comme souvent chez l’auteur, la situation inventée imbrique le tragique et le comique, la satire sociale et la dérision. Il a 95 ans, elle en a 94 et elle n’a pas renoncé à dire son admiration pour son mari, et à distiller ses espoirs déçus. Seuls dans une maison perdue sur une île battue par les flots, le couple cacochyme ressasse, usées les mêmes histoires. Sauf que ce jour-là, le vieil homme dit détenir un message au monde. Il veut réunir des personnalités pour enfin délivrer son manifeste. Sa pensée de vieillard est empêchée depuis toujours; ce sera donc un orateur professionnel qui viendra proclamer à sa place son testament au monde devant un aréopage d’invités triés sur le volet. L’orateur se révélera sourd et muet et les invités invisibles.
Un casting de légende
Catherine Salviat et Jean Paul Farré sont si bien appariés que chaque mouvement, chaque regard, chaque mot est plein d’une force dramatique imprévisible. Nous sommes saisis. Les deux comédiens complices vérifient cette loi du théâtre qui voudrait qu’un bon comédien soit un bon partenaire. Catherine Salviat, sociétaire honoraire de la Comédie Française, remplit tant son rôle que jamais on n’aura mieux compris la déréliction et les causes du délire de ces deux-là âgés décrépis dépassés. Jean Paul Farré retient avec intelligence le clown en lui pour nous émouvoir sans oublier de nous faire rire.
La malice de Stéphanie Tesson consiste à offrir un subtil et quasi invisible écrin aux deux comédiens. Nous retrouvons son talent pour l’épure, les déplacements plateau et pour les costumes qui sont formidables d’ambiguïté entre le clownesque et l’élégance d’une indigence paysanne. Son sens de l’humour sera de nous donner les mêmes chaises que celles de la pièce nous transformant en acteurs du délire. A ne pas manquer.
Les Chaises d’Eugène Ionesco, Mise en scène Stéphanie TESSON, Avec Catherine SALVIAT, Jean-Paul FARRÉ, Alejandro GUERRERO ou Jade BREIDI. Assistante à la mise en scène Émilie CHEVRILLON. Lumières François LOISEAU. Costumes Corinne ROSSI. Peinture sur costumes Marguerite DANGUY DES DESERTS.
Crédit photo ©Clémence Cardot