Théâtre
Tiphaine Raffier réussit son adaptation de Philip Roth à l’Odeon- Atelier Berthier

Tiphaine Raffier réussit son adaptation de Philip Roth à l’Odeon- Atelier Berthier

05 April 2023 | PAR David Rofé-Sarfati

Tiphaine Raffier se saisit du dernier roman d’un des plus grand auteur américain, bien que jamais nobelisé, et en tire toute la substance et toute l’énigme philosophique. La pièce est spectaculaire, musicale et édifiante

Un voyage philosophique

Tiphaine Raffier est allé chercher le roman intense de Philip Roth pour continuer son cheminement philosophique. En 1944, Bucky Cantor, jeune professeur de gymnastique de la communauté juive de Newark, est réformé, car il est trop myope pour combattre. Alors que ses amis débarquent sur les côtes normandes, c’est sur un terrain de sport du New Jersey qu’il doit enseigner aux jeunes garçons dont il a la responsabilité, la détermination, la virilité, la force physique et l’héroïsme. Survient un événement terrible : une épidémie de poliomyélite. Ce sera l’occasion pour Bucky d’un grand rôle tragique et d’un face-à-face tourmenté avec le destin. Devant la tyrannie de la contingence, Bucky s’interrogera sur les causes de la maladie qui tue au sein de la troupe d’enfant  au hasard.  Il s’autodésignera coupable pour se donner en sacrifice pour conjurer un sort qui pourtant reste une énigme absolue. D’avoir voulu donner un sens à l’aléatoire ; lui, pauvre humain prétentieux, ne rencontrera que Némésis : la déesse de la vengeance.

La force inépuisable de Philip Roth

L’anticonformisme de Philip Roth, son sens énigmatique de la parabole, son intelligence ravageuse, sont intimidants pour chacun. Toutefois, Tiphaine Raffier ose la confrontation et propose, sans ne rien trahir, une lecture brillante du texte de l’auteur de Newark. Sa réussie mise en scène l’an dernier dans La réponse des Hommes, des situations ambivalentes et des personnages en clair-obscur, aura été comme un galop d’essai pour affronter l’ironie acérée et duelle de Roth.  

“Quand les règles sont claires et comprises par tous le jeu devient possible”

L’excellente partition de Tiphaine Raffier

Dès le premier tableau, Tiphaine Raffier pose l’équation de l’épopée psycho-philosophique. Elle saute le premier paragraphe du texte qu’elle renvoie à plus tard dans la pièce pour nous situer au centre de ce qui source tout : le traumatisme. Une mère a perdu son fils et hurle. Le décor fait de lignes horizontales enferme les personnages tandis qu’une rampe de feu monte au ciel pour les éclairer tout en finissant de les encager. Nous sommes sur terre à observer des consignes, des règles que Cantor répète sans cesse et qui sont projetées sur le mur à hauteur d’homme. L’unique pouvoir de Cantor réside dans cette horizontalité de la loi. Au-dessus, chez Philip Roth, Dieu est partout et en même temps n’existe pas. Il est omniscient, mais sa divine absence alimente sans cesse la question du destin et de la malédiction. Les êtres, et en principal Cantor brulent sous un surmoi féroce.

Les comédiens sont formidables. Alexandre Gonin incarne ce Bucky Cantor qui brule intérieurement. Il bouleverse, il émeut et il agace lorsqu’il décide par vanité d’expier une faute dont seul le hasard lui a apporté la gloire.

Un hommage à Philip Roth

La pièce est un grand spectacle succédant les motifs théâtraux avec habilité et cohérence. Avec l’aide de l’ensemble de Miroirs Etendus, sans cesse au plateau, la pièce prend des allures de comédie musicale dans un Broadway gris. La troupe chante autant qu’elle joue. On ne s’ennuie jamais. Tiphaine Raffier restitue tout l’esprit de Philip Roth. À la fin de la pièce, le jeune et le vieux Cantor se rejoignent après s’être enveloppés d’une toge. Elle est la toge mythologique grecque ou romaine et qui écrase le temps, mais pas que. L’ultime roman de Roth ferme la boucle qui débute avec le roman princeps de son œuvre, Le complexe de Portnoy. Cantor est un personnage de légende, mais aussi l’avatar de la mère juive, sacrificielle, envahissante, faussement modeste et transmettant son complexe de culpabilité. 

“Les malades peuvent guérir, pas les coupables”

Dernière intelligence de la metteuse en scène, la scénographie kitch, artificielle du deuxième acte -un personnage fait chuter l’ensemble du décor à la fin de la pièce- nous renseigne sur ce qu’il faut en premier lieu comprendre de cette histoire. Elle est une parabole. Dans Némésis, c’est le message de Roth, rien n’est vrai.  Précieuse Tiphaine Raffier qui aura compris cela et qui aura su, sans trahir, nous le transmettre.

 

 

Némésis
librement adapté du roman de Philip Roth
adaptation Tiphaine Raffier et Lucas Samain
mise en scène Tiphaine Raffier
création aux Ateliers Berthier

Distribution :

Avec Clara Bretheau, Eric Challier, Maxime Dambrin, Judith Derouin, Juliet Doucet, François Godart, Alexandre Gonin, Maika Louakairim, Tom Menanteau, Hélène Patarot, Edith Proust, Stuart Seide, Adrien Serre, et les musicien-ne-s de l’ensemble Miroirs Etendus : Clément Darlu, Emmanuel Jacquet, Lucas Ounissi, Clémence Sarda, Claire Voisin et avec la participation du Chœur d’enfants du Conservatoire de Saint-Denis (direction Erwan Picquet)

Durée 2h50

 

Crédit photo © Simon Gosselin

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David Rofé-Sarfati
David Rofé-Sarfati est Psychanalyste, membre praticien d'Espace Analytique. Il se passionne pour le théâtre et anime un collectif de psychanalystes autour de l'art dramatique www.LautreScene.org. Il est membre de l'APCTMD, association de la Critique, collège Théâtre.

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