Thomas Ostermeier, “Un ennemi du peuple”, tragédie grecque signée Schaubühne
Attention chef d’œuvre. Il semblerait que Roméo Castellucci ait enclenché les rafales de spectacles étonnants, aprés Rizzo, c’est au tour de Thomas Ostemeier d’être là où on ne l’attend pas pour un nouvel Ibsen, une nouvelle adaptation. Standing ovation méritée pour Un ennemi du peuple, qui, et cela est à noter, est une création Avignon.
Un texte, long nous accueille, écrit sur le filtre transparent qui sert de rideau. Cela commence comme une chanson de Gloria Gaynor, I am what I am, cela continue moins disco “I am what I am, donc, un simple mensonge, une simple campagne de publicité (…)”. La référence à la chanson n’est pas vaine, le spectacle commencera par une reprise live de Crazy du groupe Gnarls Barkley.
Les chansons, c’est ici le chœur, celui qui vient dire l’histoire et aggraver la situation. On entendra un refrain qui fait «change, change, change”. Le récit débute de façon étonnamment classique pour celui qui a fait du plateau un acteur en soi. Là, et comme dans Mas fur Mas, l’espace, pensé par le scénographe d’Ostermeier, Jean Pappelbaum est statique. S’ il était doré en 2011, il est noir, crise oblige en 2012. Noir, comme pour un tableau d’écolier. Sur ces murs, c’est à la craie que l’appartement confortable est dessiné, par ici la chambre d’enfant, là, la cuisine. C’est dans cet espace que vit un couple de trentenaires, Le docteur Thomas Stockmann (Stefan Stern) et son épouse ( Eva Meckbach), ils ont un groupe de pop avec les potes : Billig (Moritz Gottwald) et Hovstad (Christophe Gawenda) journalistes de leur état. Tout roule jusqu’au jour où le docteur découvre que l’eau de la ville est empoisonnée par les eaux usées d’une usine. Et alors ? La ville appartient à son maire de frère (David Ruland) et l’usine à son beau-père ( Thomas Bading)
A partir de là, Corneille s’invite chez Eschyle. Que doit-il faire ? Prévenir la presse et faire “sortir” l’histoire ou protéger son frère en ne disant rien mais en laissant l’empoisonnement continuer. La pièce progresse dans une descente aux enfers inextricable où le jeune médecin sera tiraillé et confronté aux pires mots. On entendra “On verra très vite qui est un ennemi et qui est un ami”. On entendra “Tu ruines ta ville natale” ou “les employés n’ont pas le droit d’avoir des convictions”. L’homme devient le banni, “l’ennemi du peuple”.
Quand Avignon découvre Thomas Ostermeier en 2004 , il apprend qu’un décor est vivant. Cela reste exact sur le fond mais la forme bouge. Des plateaux sur moteur, on a continué en transparence pour aujourd’hui atteindre l’opacité. Ce n’est plus le mur qui se meut ou qui laisse voir, c’est le mur qui se transforme en devenant support d’imaginaire, ici : l’enferment psychologique, l’explosion intérieure, l’unité des foules pensant comme un seul homme sont soutenus par la scénographie.
Ostermeier rebat les cartes de l’art de la mise en scène et de la définition même de coup de théâtre. Il se passe un événement, déjà vu chez d’autres, chez Christophe Honoré par exemple cette année, mais ici, cet événement là prend une tournure inattendue qui fait basculer la pièce d’un théâtre lourd à une bombe politique. Moins trash sur la forme qu’un Hamlet, c’est comme pour un Helda Gabler sur le fond psychologique que la tension se cristallise autour de trois axes dramatiques : la politique, la presse et la famille.
Brillant.
Visuel : Un Ennemi du peuple – Thomas Ostermeier – © Arno Declair
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