Table Rase à la Manufacture des Abbesses
À la Manufacture des Abbesses, Table Rase est une pièce enlevée et émouvante qui n’oublie pas de nous faire rire, beaucoup. Un très bon moment de théâtre.
Comment faire face à l’inéluctable
Adaptée du québécois par Charlotte Monnier, la pièce a déjà rencontré un immense succès au Canada. Six jeunes femmes, trentenaires, amies d’enfance se retrouvent pour une soirée dans un lieu choisi. L’une d’entre elles, atteinte d’une maladie incurable, sera le vecteur d’un serment qu’elles ont souhaité échanger ; elles s’engagent à se réinventer, à faire table rase de leur quotidien, de leurs routines. Chacune explorera lors de cette soirée tant pathétique que drolatique les modalités d’un nouveau départ. À l’innocence d’une soirée entre copines répondent très vite des réflexions quasi métaphysiques sur l’amour, sur la maternité, sur le couple, sur l’amitié, sur la vie. Nous sommes invités à un cryptobanquet platonicien féminin et ancré dans l’époque. C’est drôle et instructif.
Un conte moderne
Écrit à plusieurs mains, le texte semble réaliste tout en construisant une pièce contemporaine et fictionnelle, un conte moral. Nous voulions interroger notre identité féminine et québécoise, en créant un objet qui pousserait le spectateur à réfléchir à notre condition, mais aussi à la sienne avouent les autrices.
La troupe emporte le public dans un tourbillon de paroles, de bon mot et de joyeuses névroses. Charlotte Monnier nous arrache le cœur. Elisa benizio, repérée dans Archipel de Marie N’Diaye par Georges Lavaudant aux Bouffes du nord est hilarante. Odile Blanchet réussi un rôle contenu après le burlesque La Ligne Rose pièce qu’elle a coécrite et qu’elle a jouée au Lucernaire. Chloé Boccara réussit son personnage tout en équivoque. Laura Mello et Isis Montanier finissent de construire, avec talent, l’édifice d’une équipe homogène et à la fois bigarrée. Le spectateur regrettera de quitter trop vite ces personnages auxquels il va s’attacher.
Se rêver plus grande
Sylvy Ferrus (repérée avec Orphans) est une orfèvre. Le motif du repas est un poncif du théâtre. La metteuse en scène échappe à la facilité, son repas semble commencer sans jamais vraiment. Elle restitue le spectre des sentiments et des émotions par un rythme précis et des déplacements qu’on imagine calculés scientifiquement. La danse des 6 comédiennes investit le plateau de la manufacture avec aisance. Sylvy Ferrus, passionnée par ce qui circule entre les êtres explique : Je souhaite que le public voie défiler sous ses yeux la puissance de l’amitié, qui pousse à être drôle quand on préférerait s’isoler pour pleurer, à être vulgaire alors qu’on est pudique et à tenir debout quand on est à bout de forces.
On aura compris. Et on aura beaucoup ri.