
Les Serments indiscrets, un Marivaux vif et élégant par Christophe Rauck
Christophe Rauck présente sa mise en scène ardente et raffinée des “Serments indiscrets” de Marivaux donnée dans une petite salle annexe du Théâtre Gérard Philipe habituellement destinée aux répétitions. Ce bel espace offre une proximité idéale avec les acteurs et déploie des attraits intimistes et élégants qui conviennent parfaitement. Les acteurs doués, pleins d’humeur et de naturel, restituent avec modernité la langue sans doute la plus difficile du théâtre classique. Quel luxueux bonheur d’entendre Marivaux aussi vivant.
L’intrigue, typiquement marivaudienne, scrute avec drôlerie, malice et cruauté, la complexité des relations amoureuses et du dévoilement des sentiments naissants. Deux jeunes gens contraints par décision paternelle de se soumettre à un mariage de complaisance s’y refusent avec résolution. Mais lors de leur première rencontre, l’amour immédiat qu’ils se portent l’un à l’autre porte préjudice à leur plan de rébellion. Plutôt que se dévoiler, ils feintent, se font mutuellement croire qu’ils ne se conviennent pas et se déclarent la guerre.
Cécile Garcia Fogel (Lucile) et Pierre-François Garel (Damis) sont des interprètes d’une vivacité et d’une inventivité qui enchantent. Ils forment un couple à la fois farfelu et touchant, cruel dans l’intransigeance qui le piège. Elle est revêche et lunatique, lui, plus conciliant au début mais aussi impétueux. Ils traduisent le trouble de leur personnage dans un jeu électrisant et si peu classique que tout fonctionne. Les autres acteurs sont bons mais l’approche des seconds rôles (excepté la très bonne Lisette de Hélène Schwaller) est plus conventionnelle, ou trop bouffonne ou trop simplette.
Des chandelles suspendues sur des lustres, des bougeoirs et des tapis au sol, des tentures et des drapés, des paysages peints, sont autant d’éléments scénographiques qui rappellent le travail d’un Jean-François Sivadier et inscrivent le spectacle dans cette veine. Rauck met en ébullition un plateau à la fois dépouillé et désordonné, intemporel et éclectique, qui s’affiche comme scène de théâtre, ne compte surtout pas sur l’illusion mais au contraire exalte sa théâtralité lumineuse. La représentation prend l’aspect d’une répétition au cours de laquelle tout s’emballe sur le bon tempo. Un déchaînement survient et trouve son apothéose lors d’une tempête baroque et une pluie de grêle avant l’apaisement d’une réconciliation bienvenue. Et l’amour triomphe.
Photo © Anne Nordmann