Théâtre
Saison 2019/2020 au TU : donner la parole aux invisibles

Saison 2019/2020 au TU : donner la parole aux invisibles

02 October 2019 | PAR Heilen Beyer

Cette saison au TU, 53% des artistes programmés sont des femmes. La directrice artistique, Nolwenn Bihan, explique qu’il est essentiel pour eux d’avoir une programmation paritaire. Qu’ils s’agisse de metteuses en scène, de comédiennes mais aussi de rôles féminins, « la place des femmes » est un des grands axes de la saison qui débute au TU. Pour la soirée de lancement, le 26 septembre dernier, les femmes ont occupé la scène, pour notre plus grand plaisir.

 

Le TU propose régulièrement des conférences, ateliers, rencontres, en lien avec le spectacle en cours. Le soir du lancement de la saison, le TU a laissé la parole à Pauline Péretz, maîtresse de conférences en Histoire contemporaine à Paris 8, autour de « La Voix des invisibles ». Aux côtés de Pierre Rosanvallon, professeur au Collège de France, Pauline Péretz a développé une collection de témoignages chez Seuil, Raconter la vie, pour « donner la voix aux invisibles ». Ce projet cherche à donner un espace d’expression et d’émancipation aux personnes qui se sentent mésécoutées ou non écoutées, qui sont « placées dans les coins sombres de la société ». Le lien avec le théâtre est fait : mettre en lumière et donner un espace à l’expression d’une parole. Si Raconter la vie le fait à travers la forme littéraire, le TU s’y engage en ouvrant l’espace scénique à des paroles singulières.

 

La première représentation à laquelle le public a pu assister était RENGA 5.7.5. éloge de la jeunesse, un spectacle élaboré avec des jeunes, dans le cadre d’un workshop à la fois chorégraphique et numérique. En effet, cet atelier s’inscrit dans un projet plus global de formation aux outils du numérique. Entre création artistique, approche pédagogique et critique, l’enjeu était de lier danse et numérique. Comme l’explique Catherine Charlot, une des encadrantes du projet, la question centrale est celle de l’image : sur une scène, à travers un écran, en parlant, chantant, dansant.

L’expression est donc au cœur de ce poème chorégraphique. Ces douze jeunes, venus d’horizons différents (ils sont nantais, guinéens, camerounais, maliens) s’approprient l’espace le temps d’exprimer leurs questionnements, leurs rêves, leur jeunesse. La scène est faite de peu : un grand écran sur lequel défilent des images comme des poèmes, des appareils numériques qu’ils manient à vue et en direct, de la musique, des bâtons, des morceaux de tissus, leurs gestes et leurs paroles. C’est dans ce paysage lunaire qu’ils apparaissent, sans costume -sinon leurs costumes de tous les jours- et que leurs corps se mettent en mouvement, à la fois fantômes et guerriers maasaïs.

Une caméra filme leurs visages en direct, en plan large ou rapproché. Ils s’amusent de cette vision qu’ils offrent d’eux. Des sourires inattendus se dessinent même sur certains visages : on devine un plaisir à (se) montrer, entre la gêne et l’audace. L’écran devient le miroir dans lequel ils se questionnent, avec leurs corps et leurs mots à eux. On a donné à ses jeunes venus de différents univers un espace où se montrer, on leur a offert un espace de visibilité. Ils nous ont livré leur image à travers une forme artistique belle et forte. C’est ça aussi, donner la parole aux invisibles.

©Stéphane Bellanger

 

Le lien est fait avec le deuxième spectacle, Pièce d’actualité n°12 : DU SALE ! En effet, Marion Siéfert met en scène deux jeunes femmes qui ne viennent pas initialement du milieu théâtral. Lætitia, la rappeuse, nous confie d’ailleurs dès le début du spectacle que ce n’était pas évident pour elle d’être sur la scène d’un théâtre : « J’avais peur wesh, là encore j’ai peur ». DU SALE ! c’est donc un double portrait pensé autour de ces deux femmes, Lætitia et Janice, danseuse hip-hop, basé sur leurs paroles et leurs danses. Marion Siéfert parle de leur « paysage mental, dans lequel on se promène ».

C’est sur un plateau vide, en sweat-shirt et baskets, que Janice et Lætitia apparaissent. Dès le début, elles ont des regards et des adresses directs vers le public, qui reste d’ailleurs longtemps dans une salle éclairée : en face à face avec les jeunes femmes. Elles n’ont pas peur de se confronter à nous, parfois complices, parfois provocatrices. Si monter sur la scène d’un théâtre est un défi pour elles, elles semblent aussi nous lancer à nous, un défi. Celui de regarder la danse poignante de Janice ou d’écouter les paroles crues de Lætitia, qui parle de cité, de condition des femmes ou de Foyer Jeunes Travailleurs. Elles semblent toutes deux mener un combat pour exprimer qui elles sont. « Tu ne me connais pas tant que tu ne m’as pas vue danser » dira Janice. L’une danse et l’autre parle mais toutes les deux se mettent à nu devant nous.

Marion Siéfert, avec DU SALE !, n’a peur ni du noir, ni du silence, ni de faire entendre un discours cru, ni de la violence, ni du sexe, ni de la ferveur que portent les deux artistes sur scène. Elle les sublime en organisant la rencontre sur scène de leurs arts et du sien. Elle leur permet d’exprimer par leur corps l’expression d’un mal être, la nécessité de dire, de raconter leurs vies mais aussi et surtout d’exprimer une pulsion de vie. C’est un spectacle intense, brut, drôle et beau à la fois, qui donne un terrain de jeu et d’expression à des jeunes femmes que l’on aurait peut-être jamais croisées sinon.

©Willy Vainqueur

 

Aux femmes, aux invisibles, à ceux laissés dans l’ombre, aux timides et aux inattendus, le TU ouvre sa scène et on les remercie pour ça. On espère que la saison 2019/2020 tiendra ses promesses. Et si l’envie vous prend de monter, vous aussi, sur scène, les ateliers proposés par le TU tout au long de l’année sont faits pour vous !

 

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Heilen Beyer

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