Réjouissant Nouveau roman de Christophe Honoré
Au dernier Festival d’Avignon (voir ICI), Christophe Honoré et un casting de rêve faisaient l’événement avec « Nouveau roman », dans lequel ils entreprenaient, avec audace et envie, de faire revivre les grandes figures des Editions De Minuit. Repris en ce moment à la Colline à Paris, le spectacle reçoit le succès qu’il mérite tant il est plein d’esprit, brillamment monté et fort bien joué. Il s’y déploie, sans trop de didactisme, une pensée vive, drôle, sérieuse, enjouée, impertinente, jamais ampoulée heureusement, qui passionne de bout en bout.
Butor, Mauriac, Robbe-Grillet, Simon, Pinget, Duras, Sarraute… ils ont évidemment tous existé et sont devenus, grâce à la folle entreprise de Christophe Honoré, des personnages de théâtre endossés, réinventés plutôt, par d’excellents acteurs qui ne leur ressemblent en rien, qui n’ont ni l’âge, ni l’aspect physique, ni même le sexe parfois de leur rôle. C’est une des très bonnes idées du spectacle qui ne donne pas dans la reconstitution ni dans le mimétisme laissant la vulgaire recherche d’authenticité aux biopics. Cela fonctionne formidablement.
Ces auteurs majeurs de la seconde moitié du XXe siècle sont, pour beaucoup, déjà oubliés ou ignorés. Peu importe, ils sont des hommes et des femmes qui se revendiquent justement comme étant de leur temps. Mieux que cela, ils l’ont marqué, par l’insolent talent avec lequel ils ont fait leur révolution littéraire et soutenu un propos singulièrement avant-gardiste, exigeant, libertaire. Peu soucieux du bon goût, irrespectueux des grands maîtres, incommensurablement orgueilleux, ils ont en horreur le réalisme du roman classique et se proclament les meilleurs écrivains français. Ils sont des phénomènes qui paraissent presque trop sympathiques dans la manière dont les présente Honoré et ses acteurs mais comment leur en vouloir ? Toute la distribution, dont font partie Anaïs Demoustier, Ludivine Sagnier, Mélodie Richard, Sébastien Ponderoux, Mathurin Voltz pour n’en citer que quelques uns, irradie et séduit. Sous leurs traits, les écrivains du Nouveau roman sont attirants et touchants, gais et tristes, légers et profonds, ils apparaissent comme des gamins potaches et des activistes géniaux. Complice et directif, Jérôme Lindon est aussi de la partie. Le directeur des Editions De Minuit, l’homme qui a publié Beckett refusé dans toutes les maisons d’édition, est joué par une actrice de poigne, Annie Mercier avec une bonhomie et une autorité qui font mouche. Personnages et comédiens partagent un non conformisme et un goût du risque qui sont leur terrain de jeu commun.
Le Nouveau roman est un courant qui se forme en groupe, en collectif, cela se dégage immédiatement de la très belle troupe d’acteurs qui se présente devant nous mais il se compose néanmoins de personnalités très dissemblables et aux caractères bien trempés ; cela est bien montré. On passe sur les quelques longueurs d’un spectacle qui dure 2h50 sans entracte et d’autres éléments finalement anecdotiques tant on a adoré la vie qui règne sur le plateau. On y crie, chante, danse, clope, boit, et surtout on y parle à l’infini. Des conversations à bâtons rompus ou des monologues, des moments de convivialité, d’amitié, de séduction, des prises de becs mémorables aussi… c’est tout ce qui donne au spectacle sa fraîcheur et sa dimension humaine. Ces gens s’aiment comme ils se jalousent, s’admirent ou se trahissent en se tirant dans les pattes. La pièce parle aussi de leur rapport à l’histoire collective comme à leur intimité : la guerre, l’Algérie, la réussite littéraire, la vie sentimentale, la sexualité sont évoquées. La légende de l’auteur dans sa tour d’ivoire n’est plus de mise. Honoré réussit une démythification redoutable et enjouée de la figure de l’écrivain.
Photo © Jean-Louis Fernandez