Que faire ? (le retour), méditation métaphysico-comique à la Colline
Dans Que faire ? (le retour), Martine Schambacher et François Chattot refont le monde sur le coin de table de leur cuisine. En suivant la trame d’une pièce-collage conçue à partir d’un texte de Jean-Charles Massera et Benoît Lambert – ce-dernier réalise aussi la mise en scène – et des citations de nombreux auteurs et philosophes (Descartes, Kant, Nietzsche, Marx, Flaubert, Maupassant…), les deux acteurs se livrent génialement à un petit jeu de remise en question des opinions et du savoir commun pour faire le point sur notre héritage historique, politique et culturel. En suivant la règle du “qu’est-ce qu’on garde et qu’est-ce qu’on jette ?”, ils produisent une pensée toujours en mouvement et un discours contestataire qui font du bien. C’est très drôle, intelligent, explosif, réjouissant. Courrez-y !
C’est l’histoire d’un couple, enlisé dans la routine du quotidien, qui ne se parle plus. Madame revient des courses, sort du fond de son sac à provisions un livre ancien qu’elle observe comme un objet bizarre et fascinant. C’est les Méditations métaphysiques de Descartes qu’elle lit sans pouvoir le lâcher sous l’œil incrédule et un peu benêt de son mari. L’idée leur vient de procéder à un inventaire de leur bibliothèque et à un tri dans les évènements qui font les ruptures et les continuités du monde, leurs impacts et leur excès : la déclaration des droits de l’homme, la révolution russe, la révolution française où les bourgeois coupaient la tête de leur roi pour prendre sa place et devenir des chefs, mai 68, caricaturée par méfiance, l’art contemporain et la performance… tout y passe sans jamais être rébarbatif, autant de symboles importants de résistance à la continuité et à l’endormissement des consciences, porteurs de nouveautés, d’émancipation et de possibles.
Complices et inventifs, François Chattot et Martine Schambacher forment un duo comique exceptionnel. L’acteur est égal à lui-même, fin, distant, hagard, ironique. Elle est improbable, désopilante dans un numéro de playback sur Nina Hagen ou dans une version survoltée de Semiotics Of The Kitchen. Avec une énergie clownesque, beaucoup d’humour et une infinie tendresse, de l’amour et de la mélancolie, ils nous offrent un geste théâtral à la fois politique et poétique, une invitation à une réflexion joyeuse et aussi une ouverture vers un imaginaire sans frein. Sous leurs airs un peu naïfs, un rien nigauds, ils produisent, avec une formidable liberté de ton et une croyance inébranlable en l’art, un discours spontané, désordonné, loufoque, anarchique mais censé, éclairant, pertinent, tellement salvateur par les temps qui courent car il éveille, réveille et entend bien ne pas laisser place à la résignation.
Photo, Elisabeth Carecchio
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