Pulvérisés, les dommages humains de la mondialisation selon Alexandra Badea
Grand Prix de la littérature dramatique cette année, Pulvérisés de la jeune auteure roumaine Alexandra Badea dresse le portrait de quatre anonymes éparpillés aux quatre coins de la planète, aliénés et cahotés dans le tumulte et l’agitation du monde contemporain mondialisé. On découvre à La Commune d’Aubervilliers cette pièce forte et percutante mais dans une mise en scène de Jacques Nichet et Aurélien Guillet qui, elle, l’est beaucoup moins.
Responsable assurance qualité sous-traitance lyonnais, supérieur de plateau de téléopérateur à Dakar, ouvrière à la chaîne à Shangaï, ingénieure d’études et de développement à Bucarest ; voici les protagonistes du texte globe-trotteur d’Alexandra Bodea, tous confrontés aux méandres de l’économie et de l’entreprise, bouffés par le travail, par le temps qui file à toute allure, en perte de repères, de valeurs, d’humanité.
Le visage de chacun d’eux n’est qu’une image virtuelle et lointaine projetée en vidéo. Deux comédiens assurent la prise en charge de leur voix intérieure. Pris dans l’étau formé par deux pans de murs-écrans géants disposés en angle droit, Stéphane Facco et Agathe Molière relaient leurs histoire et leurs mots à travers une succession de monologues fragmentés. Leurs voix amplifiées répondent par écho à celles enregistrées d’une foultitude d’individus semblables, ce qui renforce la portée universelle du propos.
Le monde du travail et de l’argent qui pervertit la sphère privée et intime de l’homme jusqu’à son anéantissement, l’impossible échange, l’absence de communication dans un monde pourtant hyper connecté et envahi d’écrans d’ordinateurs, de webcams, d’IPhones… sont autant de thèmes souvent brillamment traités au théâtre par une nouvelle génération d’auteurs dont font partie Falk Richter, Dennis Kelly ou bien encore Simon Stephens. Pulvérisés n’est pas qu’un texte de plus sur le sujet mais apparaît comme véritablement déterminant. Sa construction originale et virtuose, son propos et sa langue donnés à entendre sans apprêt mais d’une manière rude et cinglante, même dans ses quelques longueurs et répétitions, lui confèrent une force de frappe incisive. La course à la performance et au profit, les rapports de domination, l’angoisse de l’échec, les techniques de marketing, de management qui dictent et réorganisent les relations humaines réduites au néant, tout cela aussi justement décrit vous saute à la gorge.
C’est sous la forme d’un cauchemar sombre, pesant et dématérialisé que Nichet et Guillet montent la pièce. On comprend le parti pris pertinent mais il dessert la pièce. Parce qu’il la fait plier sous un formalisme froid et à l’obscurité hermétique, la fige dans une mécanique redondante qui rend la représentation étale, invariante, soit à l’opposé de la dynamique urgente et rageuse de l’écriture. Si la vitalité palpitante de la pièce se trouve plombée, demeure le regard sans concession, lucide et désenchanté d’Alexandra Badea sur les brutales réalités du monde d’aujourd’hui.
Photo © Bruno Bléger
mardi et jeudi à 19h30, mercredi et vendredi à 20h30, samedi à 18h, dimanche à 16h. Durée : 1h30.