Théâtre
« Port-au-Prince et sa douce nuit », une découverte multiple et intense au Théâtre 14 à partir du 6 mars

« Port-au-Prince et sa douce nuit », une découverte multiple et intense au Théâtre 14 à partir du 6 mars

27 February 2025 | PAR David Rofé-Sarfati

Lucie Berelowitsch propose une délicate mise en scène du texte de l’écrivaine haïtienne Gaëlle Bien-Aimé. L’expérience consiste en une violence érotique et une puissance politique édifiante.


Un choc

Gaëlle Bien-Aimé est journaliste, comédienne et humoriste haïtienne. Elle est également activiste, chroniqueuse et membre de l’organisation féministe Nègès Mawon. En 2018, elle cofonde ACTE, une école d’art dramatique où elle enseigne corps et voix. En Haïti, depuis plus de quarante ans, l’instabilité politique s’ajoute à la menace d’une guerre civile. L’île caribéenne s’enferme dans une impasse politique, sans représentants élus et à la solde de chefs de gang. Pourtant, depuis l’établissement de sa constitution, en 1987, le pays tend vers une démocratie, en pure perte.

Gaëlle Bien-Aimé se révèle une fantastique autrice. Son texte semi-autobiographique restitue le collectif et l’individuel. Il embrasse à la fois le politique et le particulier.  Il est un grand texte d’auteur. L’autrice se situe au-delà des larmes, non au-dessus, non en deçà, mais de l’autre côté de la traversée poignante d’une réalité crue, si réelle. Dans une chambre de Port-au-Prince, à la lumière d’une bougie, un couple s’aime et se déchire au rythme froid d’une ville sur laquelle circule, invisible, une violence qui imprègne l’atmosphère. Nous sommes en Haïti, mais nous pourrions être, comme l’explique Lucie Berelowitsh, dans le Donbass ou ailleurs en Ukraine. La metteuse en scène accueille depuis l’invasion russe, en son CDN de Vire, des femmes ukrainiennes, des guerrières et chanteuses qui savent ce que veut dire quitter sa ville et continuer à se battre ailleurs. Nous ne pouvions espérer meilleur appariement que celui de Lucie Berelowitsch et de l’autrice haïtienne. Le résultat renchérit chacune pour former une expérience d’une double densité.

Éros et thanatos

Dans un décor aigre-doux, la scénographie consacre le texte en se mettant à son service. Zily veut quitter la ville mais Ferah travaille dans un hôpital et ne peut abandonner les siens. Et Zily aime Ferah qui aime Zily. Le couple envisage un temps de partir ailleurs, au Canada. Mais comment se résoudre à partir, à abandonner, à capituler ? La langue est charnelle, poétique. Elle est aussi celle du migrant, une langue qui ne veut cesser de saisir des mots créoles qui courraient un danger loin du pays. Les deux comédiens sont formidables. Sonia Bonny et Lawrence Davis finissent de compléter une équipe incontestablement bouillonnante et concernée.  La force des émotions nous laisse K.O.

Une rue, il faut l’habiller de quelque chose. Et si entre quincailleries, restaurant dansant, studio de beauté, école, marché, il y a des gens sur le trottoir qui discutent littérature ou foot, c’est une rue en vie.

À la géométrie de la ville répondent les transports amoureux. L’érotisation de la ville atteste l’érotisation des êtres. Après les applaudissements nourris, le texte occupera longtemps les pensées. L’expérience du spectateur demeure dans l’art de l’autrice et de sa metteuse en scène d’empoigner une totalité subtile et son équivoque. Les corps se rejoignent et se décollent. Les mots restituent et peinent à rendre compte. Entre Éros et Thanatos restent l’énigme et la querelle. Subsiste la tragédie.

Une pièce grave et belle.


 
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David Rofé-Sarfati
David Rofé-Sarfati est Psychanalyste, membre praticien d'Espace Analytique. Il se passionne pour le théâtre et anime un collectif de psychanalystes autour de l'art dramatique www.LautreScene.org. Il est membre de l'APCTMD, association de la Critique, collège Théâtre.

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