Théâtre
Poquelin II, L’avare et le bourgeois gentilhomme par les Tg Stan au théâtre de la Bastille

Poquelin II, L’avare et le bourgeois gentilhomme par les Tg Stan au théâtre de la Bastille

10 December 2022 | PAR David Rofé-Sarfati

Le collectif belge des Tg Stan célèbrent à sa façon les 400 ans de la naissance de Molière. Et c’est encore libre, frais, gai et incontournable. 

La compagnie Tg STAN fut fondée par quatre acteurs diplômés du Conservatoire d’Anvers en 1989. Jolente De Keersmaeker, Damiaan De Schrijver, Sara de Roo et Frank Vercruyssen, refusèrent catégoriquement de s’intégrer dans une des compagnies existantes, ne voyant dans celles-ci qu’esthétisme révolu, expérimentation formelle aliénante et tyrannie de metteur en scène. Résolument tournée vers l’acteur, refusant tout dogmatisme, voilà les mots clés qui caractérisent Tg STAN. Le refus du dogmatisme est évoqué par son nom – S(top) T(hinking) A(bout) N(ames) – mais aussi par le répertoire hybride, quoique systématiquement contestataire, où Cocteau et Anouilh côtoient Tchekhov, Bernhard suit Ibsen et les comédies de Wilde ou Shaw voisinent avec des essais de Diderot. 

Une joyeuse complicité avec le public

Dans Poquelin, les STAN avaient concocté leur  best of Molière librement inspiré de multiples pièces, privilégiant les farces. Dans Poquelin II, ils s’emparent de L’Avare et du Bourgeois gentilhomme. Renouant avec un théâtre de tréteaux, ils s’en donnent à cœur joie pour interpréter ces deux comédies où l’on se moque d’un maître de maison accroché à ses pouvoirs, ridicule et touchant. La mise en scène s’articule autour d’une complicité tissée avec les spectateurs. La pièce se joue salle allumée. La troupe partage avec son public le plaisir du texte et du jeu.  Les rires et les fous rires -nombreux- traversent la salle. L’humeur est à la joie. 

Un méthode de travail exigeante et fructueuse

Dès que le choix d’un texte est fixé, celui-ci est adapté et retravaillé, reformulé, afin de produire un nouveau texte de jeu, propre au collectif. Les artistes ne montent finalement sur scène qu’à peine quelques jours avant la première de la pièce, mais le spectacle ne prend réellement corps que dès l’instant où il est joué devant un public. Les STAN croit résolument à la force « vive » du théâtre : un spectacle n’est pas une reproduction d’une chose apprise, mais se crée chaque soir à nouveau, avec le public. tg STAN donne une place centrale au comédien et croit dur comme fer au concept du comédien souverain, qui est aussi bien interprète que créateur.  

Le fantasme  de l’origine 

Avec Poquelin II, la mise en scène en trifrontal avec une estrade en bois feint de renouer avec une origine de l’œuvre, avec  un temps où Molière devait financer, mal, ses tournées. Nous assisterions au trognon de la pièce , à sa première création encore chancelante, mal assurée, mais prometteuse. Évidemment, Stan le sait, jamais Molière n’a présenté ainsi ces pièces.Pourtant, nous croyons voir la naissance de l’œuvre,  la création de lumière viendra, le jeu se précisera, les textes seront mieux appris, les déplacements s’affineront. Les STAN brillants, nous trompent. Ils ne décapent pas l’œuvre, il ne nettoient rien de poussières ou de scories sédimentées depuis ce temps des origines. Il ne s’ancrent pas dans un passé. Ils magnifient le texte et inventent. Par cette inventivité riche de leur sens du plateau et du public se construit avec précision trois heures de théâtre jubilatoire. 

Le désordre, la cacophonie et le bruit

L’autre malicieuse trouvaille est le geste désordonné, cacophonique. Une fois encore Stan réhabilite le désordre pour oxygéner son théâtre. En cette époque où certains abusent de la cacophonie pour des combats identitaires, corporatistes ou  insurrectionnels, nous pourrions croire à un mauvais bricolage masqué par du bruit. Au contraire, les Stan nous sauvent de notre temps où le marketing politique se hurle dans les assemblées ou dans la rue, pour réaffirmer que par un vacarme la générosité sait produire un plaisir collectif.

Au théâtre de la Bastille, dans le cadre du festival d’Automne de Pairs, nous avons assisté à trois heures de bonheur théâtral. Molière revient parmi nous et nous respirons loin d’ un air épuisé des vociférations syndicales, politiques ou doctrinales. 

Poquelin II, De et avec Jan Bijvoet, Jolente De Keersmaeker, Damiaan De Schrijver, Els Dottermans, Bert Haelvoet, Willy Thomas et Stijn Van Opstal

Crédit photo  © Kurt Van der Elst

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David Rofé-Sarfati
David Rofé-Sarfati est Psychanalyste, membre praticien d'Espace Analytique. Il se passionne pour le théâtre et anime un collectif de psychanalystes autour de l'art dramatique www.LautreScene.org. Il est membre de l'APCTMD, association de la Critique, collège Théâtre.

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