Théâtre
Mon amour : Thomas Ferrand au festival Etrange Cargo à la Ménagerie de verre

Mon amour : Thomas Ferrand au festival Etrange Cargo à la Ménagerie de verre

25 March 2012 | PAR Smaranda Olcese

Un an après Extase de Sainte-Machine, pièce ardue, d’une puissante radicalité, Thomas Ferrand revient au festival Etrange Cargo avec Mon amour. Mouvement de la parole et des corps participent à cette création qui emprunte la voie de l’excès pour explorer les failles de la représentation.

 

La salle basse de la Ménagerie de verre est radicalement transformée : des fleurs de papier peint couvrent la dalle de béton brut et montent jusqu’au mur du fond, altérant la profondeur de l’espace. Le plafond y est plus bas encore, et pourtant aucune sensation d’oppression, tout au contraire: les poutres en acier massives sont occultées par des bandes adhésives qui courent sur toute la longueur selon des points de fuite inattendus. La lumière filtre comme à travers des persiennes, inégale, dépliée, elle danse sur les murs. L’espace s’ouvre et devient poreux. Une guitare électrique posée sur un ampli hurle son larsen en sourdine. Offerte, non pas à une nuée d’oiseaux, comme celles de Céleste Boursier-Mougenot (From here to ear), mais à l’électricité qui s’accumule dans cet environnement au premier abord ouaté et s’y décharge dans un flux sonore épais et continu, un flux d’énergie primaire d’avant la naissance des pulsions.

Le metteur en scène va la débrancher. Son geste brusque déclenche le flot de la parole. La magie de l’espace se rompt, les fleurs sur le papier peint retiennent leur souffle. Elles seront bientôt foulées, piétinées, arrachées, à l’image de ces ronces qui semblaient en lévitation dans leur vase transparent, à l’image de ce texte aussi qui sera pris et repris à contre sens, morcelé, saccagé, selon les propos de Thomas Ferrand. La parole qui vient inonder l’espace découle de cette rupture initiale : les deux interprètes sont entrainés dans une course effrénée qui a pour but de conjurer la mort, prisonniers d’une mécanique infernale du désir et des pulsions.

La langue pesée du Dom Juan de Molière, soucieuse des normes morales et des conventions sociales dans leur transgression même, devient matière sonore de ce délire obsessionnel. Les gestes et paroles s’inscrivent dans l’espace, répétés jusqu’à l’épuisement, jusqu’à l’effacement du sens, jusqu’au point où des images hallucinées commencent à surgir : des langues de feu font irruption d’un livre qu’elles menacent de dévorer, des cieux de pourpre et des lagunes turquoises dans le plus pur style kitch s’immiscent dans l’environnement.

Le temps s’arrête puis redémarre furieusement. La boucle impassible que la musique pompière, Empire, tend à imposer n’est pourtant jamais la même. Les incessants allers et retours de la danseuse, toujours vêtue de nouveaux habits, appuient cette sensation de commencement sans cesse renouvelé, sans issue possible. Sa présence imprègne l’espace, ses gestes confèrent de l’épaisseur à la pièce. Qu’ils soient accomplis ou simplement actualisés, rendus envisageables dans le cycle des répétitions, ils charrient quelque chose de l’indicible qui met en mouvement les interprètes de Pina Baush. Devant elle, sur le plateau, Laurent Frattale, une véritable bête de scène, dévore le texte de Molière dans une partition chauffée à blanc. Deux univers s’entrechoquent, tantôt avec éclat, quand le mouvement commun laisse entrevoir une violente grâce qui dit les pulsions au delà des mots, tantôt par des à coups, quand une certaine aisance et des habitudes de comédien « de texte » tentent de prendre le dessus. L’exercice est périlleux : il ne s’agit plus de porter un texte, mais de se laisser emporter par lui. C’est ainsi qu’au fil des prochaines représentations la pièce tiendra pleinement sa promesse de beauté convulsive.

photographies © Stéphane Tasse

 

 

 

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