Théâtre
“Mes frères”, la mise à mort métallique du patriarcat par Pascal Rambert et Arthur Nauzyciel à la Colline

“Mes frères”, la mise à mort métallique du patriarcat par Pascal Rambert et Arthur Nauzyciel à la Colline

06 October 2020 | PAR Amelie Blaustein Niddam

Jusqu’au 21 octobre, la Colline accueille la toute nouvelle création d’Arthur Nauzyciel à qui Pascal Rambert a offert un texte. Mes frères est comme un conte de Grimm écrit aujourd’hui, quelque part entre Barbe Bleue et Cendrillon. Une claque !

Le temps du conte

C’est bien la première fois que Pascal Rambert écrit pour un autre. Généralement, il écrit pour lui, pour répondre à ses temps de vie. La rupture, la perte du sens des mots sont ses grands thèmes et ils se retrouvent ici dans ce lieu à la fois onirique et très réaliste, où jamais, nous le verrons, il ne choisit une temporalité.

Arthur Nauzyciel connait bien Rambert pour qui il a souvent joué, dans l’Art du théâtre, De mes propres mains, Architecture. Nauzyciel est aussi un immense metteur en scène, et personne n’a oublié sa Mouette dans la Cour d’Honneur à Avignon ou sa sensible quête des témoins dans Jan Karski, mon nom est une fiction.

C’est donc une alliance de grands qui permet à Mes frères de prendre corps, et le corps ici est finalement le personnage principal. Comme dans tout conte, il y a des gros méchants, une princesse et une forêt. Et le casting est à la hauteur de l’ambition.

Quatre frères bien bourrus : Adama Diop, Pascal Greggory, Guillaume Costanza et Frédéric Pierrot tiennent, comme en captivité, une servante, qui joue les idiotes et limite son langage à “Temps pour dîner / Pommes de terre”. Elle est incroyable dans ce rôle de presque souillon, longue tresse blonde et robe chemisier noire à une seule manche. Elle planque la féminité des gestes dans de la brutalité, en écho à leurs sollicitations très déplacées. Pour survivre, elle se doit d’être un bloc, carrée. 

La disparition des mots

La scénographie de Riccardo Hernández et les lumières de Scott Zielinski nous placent quelque part dans les plaines du Nord comme le chantera bientôt Michel Legrand. Cette chanson semble être le fil conducteur du décor, les paroles disent au début :  “Avec le ruisseau qui ne chante plus – Avec le frisson d’un oiseau perdu – Au creux d’un arbre tout nu”. 

D’un côté, un bois avec des troncs d’arbres enchevêtrés et de l’autre une immense maison toute métallique, froide et grise barrée d’un escalier qui distribue des paliers pour quatre portes. Au rez-de-chaussée, une vaste salle à manger où se trouve une table, elle aussi en acier, et deux autres portes.

Eux sont des monstres, quatre porcs, quatre gros dégueulasses, affreux, pas sales, mais bien méchants. Et il y a cette folie de voir ces quatre comédiens si talentueux jouer le pire des hommes avec sérieux. Nauzyciel les fait danser, car les mots manquent. C’est d’ailleurs Damien Jallet qui s’est chargé de la chorégraphie, martiale, écrasante et animale.

La langue est courte, rapide ; elle mixe des champs lexicaux basiques et des élans complexes. On entend par exemple : “Chez moi le langage se tient dans les nervures du crâne, le langage est un serpent plié dans mon cerveau étroit. Rien ne sort”.

Alors les corps des hommes sont lourds, et comme ils sont tous bucherons ou menuisiers, les mains sont souvent prolongées par un outil qui ressemble à une arme. Ils sont en totale opposition avec ce que la forêt offrira d’élégance, de puissance et de légèreté (Mais chut ! C’est un secret)

“Pleure dans tes rêves et noie-toi dedans”

Mes frères assume sa part de fantastique en brouillant les pistes, en troublant la chronologie. Le rêve est lui aussi un acteur qui aura ses moments, dont un particulièrement flamboyant. Les quatre non fantastiques rêvent de posséder la belle, mais elle a été déjà brisée par le passé, elle porte sa douleur sur elle et sait se défendre.

Alors c’est la nuit que le mouvement du désir le plus vil se met en place, offrant pour les spectateurs des monologues ciselés, des leçons de théâtre.

La morale de l’histoire se résume bien à une réplique que prononce Marie  : “Mange, tu ne sais pas qui te mangera”. Dans un passage à l’acte plus que fort, l’interdit quitte la zone du symbole. Ici, le conte est féministe, et sans trop vous en dire, dans un sens, il finit bien. L’idée que cacher le savoir est une force pour se tirer d’un mauvais pas est centrale dans Mes frères.   

Mes frères est un monument, à voir absolument à la fois pour ce qu’il est : une autre histoire de la violence où la frustration déchaîne des horreurs. Mais aussi pour le jeu. La langue est aride, les monologues fréquents. Les comédiens sont tous au summum de ce que jouer veut dire. 

Sachez que nous avons choisi de vous en dire finalement très peu dans cet article, car la part fantastique de ce conte ne doit pas être révélée sinon tout serait gâché !

 


Visuel : ©Philippe Chancel

 


 


 

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