Théâtre
[Marseille] Et la Criée se fit entendre

[Marseille] Et la Criée se fit entendre

19 January 2015 | PAR Amelie Blaustein Niddam

C’est un événement qui dépasse le local. En janvier La Criée, le Théâtre National de Marseille rouvre ses portes après de lourds travaux de désamiantage et d’embellissement. C’est un navire lumineux qui s’avance désormais sur le port, invitant plus que jamais à y entrer. La Criée déborde et se fait entendre des quartiers Nord à la Friche. Pour commencer l’année, Macha Makeïeff a proposé de revenir aux sources.

Pour accéder à la petite salle de 200 places, il faut passer par le hall redessiné par Wilemotte « simple et élégant » comme le définit la directrice du CDN. On le sait, au- dessus de nous, la metteuse en scène, compagnonne de route de Jérôme Deschamps a sa « fabrique », une invitation au rêve comme le suggère l’affiche de saison. Dans ce bureau totem on trouve tout : une chaise ordinateur, des talons oranges spectaculaires mais surtout deux choses : les maquettes des pièces passées ( Ali Baba, Les Apaches…) et la prochaine, Trissotin ou Les Femmes savantes, à venir. La seconde est une grande table où tout se décide : le fond et la forme, la culture et la politique. Macha Makeïeff a réussi l’impossible dans la ville âpre écrasée par le soleil. Désormais, l’État est pleinement là, à tous ses échelons : la ville, le département, la région, le ministère. La Criée n’est pas  un rafiot à la dérive. Mais l’équilibre est fragile même si les frêles épaules de Macha sont très solides. Alors, et le mot est sacré, il faut faire de l’amitié un culte, c’est ce mot là qui devrait remplacer ici celui de partenariat. Que ce soit avec la Gare Franche dans les quartiers Nord à la réputation aride ou à la Friche, merveille nichée derrière la Gare Saint Charles et réhabilitée depuis que Marseille fut en 2013 capitale Européenne de la Culture.

C’est justement dans la Friche qu’Emmanuel Meirieu, qui avait mis en scène De beaux lendemains et Mon traître s’attaque à la superbe histoire de Birdy, d’après le roman de William Wharton et surtout le film de Alan Parker. Al et Birdy sont deux GI détruits par la guerre. Ils se retrouvent, dans un spectacle qui fait le choix de l’émotion. L’un la gueule cassée, l’autre fou, se prenant pour un oiseau dans un hôpital psychiatrique qui n’a pas croisé la parole de Lacan. La proposition scénique est celle d’une série américaine. La voix en prend le tempo, comme la lumière rouge qui inonde sans cesse un décor fait d’une fenêtre en trois versions. Le son d’un piano incessant est là pour apporter du sensationnel à l’émotion.

Revenons sur le Vieux Port où avec intelligence, la réouverture se fait avec une discrétion qui permet au public et à l’équipe du théâtre d’entrer là sans plus jamais « avoir peur des murs ».
Macha Makeïeff met en scène l’ethnologue Philippe Geslin pour trois spectacles rassemblés sous le vocable « Les âmes offensées », du mot de Levis Strauss. Lui avait déjà montré son travail sur le peuple Sousou qui sera programmé du 22 au 24 janvier. Mais en ouverture c’est le grand froid qui nous accueille pour « Peau d’Ours sur ciel d’avril ». Cela résonne bien avec son travail opéré depuis trois ans de désenclavement des disciplines. Phia Menard investira le hall dans la saison et Moriarty a déjà donné un concert dans le même lieu.
Ce « Peau d’ours » n’est ni théâtre ni performance. Dans un décor « que l’on peut mettre dans une valise » dit-elle, composé d’une allégorie d’igloo, d’un stalactite qui goutte pour illustrer la fonte des neiges, et d’objets : des récipients, une peau d’ours, des oursins, lui est là, scientifique, le carnet à la main. Il raconte, soutenu par les images d’archives et ses propres documentaires, la disparition du métier de chasseur-pécheur.

Faire conférence au théâtre cela n’est pas neuf, Xavier Leroy en sait quelque chose et c’est généralement une expérience très pertinente.
L’ethnologue a de la pudeur, sait se rappeler que l’humain est un animal comme les autres. Tout se mêle pour nous faire amener au présent. Les contes et légendes se transforment au gré des évolutions. Ce n’est plus le premier phoque tué que l’on célèbre, c’est le premier jour d’école. La voix est douce, le cours n’en est pas un. La discipline opère et nous rencontrons un monde radical où les dents des femmes étaient jusqu’il y a peu pris pour des outils de tannage. Temps révolus. Aujourd’hui, et cela irritera les nostalgiques, le présent est là, le hip hop retentit et internet permet un shopping mondialisé. Les métiers et les mentalités évoluent. Ce n’est ni mal ni bien c’est la réalité.

Cela n’empêche pas Philippe Geslin de s’inscrire dans une filiation. Ses pères sont Claude Lévi-Strauss ou Paul-Émile Victor.

On casse ici les stéréotypes en apprenant que l’hiver et la reconstitution de la banquise sont un temps de joie où il est de nouveau possible de circuler. Ce mouvement qui permet d’aller d’un lieu à un autre, c’est le travail orchestré par la Criée qui a vu son public rajeunir et venir de plus en plus nombreux.

Birdy est à l’affiche jusqu’au 22 janvier, les âmes offensées elles jusqu’au 24.

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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