Mariette sort de l’ombre de la Belle du Seigneur au Petit Montparnasse
En ce moment au Petit Montparnasse, Anne Danaïs donne corps au personnage de la bonne d’Ariane dans Belle du Seigneur. Dans une mise en scène sobre signée Anne Quesemand, la comédienne soliloque entre deux couverts à astiquer. Elle parle politique, mœurs, petits tracas quotidiens, mais éclaire également de tout son bon sens l’histoire sur-romantisée de Solal et de sa Belle. Un grand moment de rire et de théâtre.
Il y a des comédiennes qui rêvent de jouer Andromaque toute leur vie…Anna Danais n’est pas de celles-là. Ce qui la fascine depuis longtemps : ce sont les rôles de domestiques… Et le personnage de Mariette est une bonne tout à fait irrésistible, toute en tendresse et à mille lieues des dessous glauques de la belle époque que des personnages comme la Célestine de Mirbeau ou la Céleste de Proust. Anne Danais a donc patiemment reconstitué tous les monologues de la bonne d’Ariane, et mis bout à bout ils donnent la parole à un personnage entier et touchant : Mariée et heureuse avec un seul homme toute sa vie, Mariette connaît Ariane depuis sa naissance. Elle l’a suivie après la mort prématurée de ses parents, puis dans son nouveau foyer auprès d’une “sous-bouffon général” aux ordres de Solal : Hadrien dit Didi. Mariette aime Ariane comme sa fille, même si vivre en Suisse pour cette Française est parfois un peu ennuyeux, surtout dans un lieu où “les gros” déploient des débauches de moyens à essayer de savoir comment dépenser leur argent. Attention, il ne faut pas mélanger “les gros” avec ceux de “la haute” qui eux ne lèvent jamais le ton et sont bien sous tout rapport. Ariane fait partie de ceux de “la haute” et Mariette la trouve même un peu trop sage entre ses livres et un mari qui ne lui arrive pas à la cheville. Enfin, si Mariette en veut beaucoup à Ariane de lui avoir caché les débuts de sa flamme pour Solal, elle accepte de la suivre et de servir le couple atypique. Mais pas jusqu’au bout : quand la passion devient macabre, Mariette s’en va. “Bravo Mariette”, s’exclame Solal.
Dans un décor minimaliste, et changeant à peine de vêtements, Anna Danais opère un véritable tour de force dans le portrait plus vrai que nature et donc jamais caricatural de cette femme au grand cœur, simple et surtout pleine de bon sens. Teintant sa Mariette de l’accent des Deux-Sèvres empruntés à ses grands-parents, la comédienne, vrille en athlète dans les phrases sans ponctuation et les trouvailles linguistiques du grand Cohen. Elle ponctue ses soliloques de chanson populaires (“La vie en rose”, “Parlez-moi d’amour”…), accordant toujours sa jolie voix à l’esprit du roman dont elle a extrait son texte. Ce roman de 1200 pages, elle l’éclaire d’un tout nouveau jour. Etant donné que l’ensemble de l’histoire d’amour et donc toute l’intrigue du roman peut être connue par les soliloques de Mariette, le bon sens de cette dernière fait fleurés : on quitte les sentiers tragiques de deux amants voulant vivre seuls leur passion jusqu’au bout pour rencontrer le point de vue d’une femme qui a aimé grandement, simplement, et qui n’a pas eu peur de son aimé, même lorsqu’il exerçait ses fonctions les moins romantiques. Par ailleurs, lorsqu’elle se parle à elle-même Mariette réflechit peut-être plus que ses maîtres sur le discours qu’elle est entrain de produire. Restituant toute la truculence du texte de Cohen qu’elles déploient avec une attention aussi amoureuse qu’amusée, Anna Danais et Anne Quesemand proposent un spectacle d’autant plus drôle qu’il est plus vrai que nature. A croire qu’en matière d’humour, une Mariette vaut bien deux Mangeclous. Un grand coup de coeur.
“Les soliloques de Mariette“, d’après “Belle du Seigneur”, d’Albert Cohen, avec Anne Danais, mise en scène : Anne Quesemand, lumières : Samuel Zucca, Théâtre du Petit Montparnasse, 31, rue de la gaité, Paris 14e, m° Gaité, mar-sam 19h, dim, 15h,durée du spectacle 1h20, 18-30 euros (10 pour les -26 ans). Attention jusqu’au 10 octobre avce l’opération “premiers aux premières”, les billets sont à -50%.
Anne Danais organise également les activités à la Maison du chat bleu, une association culturelle située à Saint-Savinien (Charentes Maritimes).