Théâtre

Manhattan Medea au Théâtre de la Colline

29 January 2010 | PAR Yaël Hirsch

Après « La Passion selon Jean” d’Antonio Tarantino (2007), Sophie Loucachevsky est de retour à la Colline pour une mise en scène pleine de sens et de passion de la Médée newyorkaise imaginée par la dramaturge allemande Dora Loher. Un moment intense de perfection mythique.

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Après avoir montré un Saint-Jean en milieu psychiatrico-mystique, il y a un peu plus de deux ans, Sophie Loucachevsky s’attaque à la figure mythique de la femme amoureuse. Sa Médée est une immigrée clandestine venue d’une Europe de l’Est en guerre à New-York avec Jason et son frère. Après une vie minable avec Jason et l’enfant, d’hôtel de passe en boui-boui dans Chinatown acceptant les sans-papiers, elle doit se résigner à voir Jason épouser la fille d’un immigré qui, lui, a réussi : Sweatshop boss. Alors que Jason garderait bien Médée sous son toit conjugal, le patriarche veut garder l’enfant en otage et demande à Médée de quitter la ville. Mais à la loi de la cité et aux règles de la réussite sociale, Médée préfère encore une fois sa seule loi et son seul devoir : celle de son amour pour Jason qui, dans le passé, a déjà fait d’elle une criminelle.

La transposition de Medée à Manhattan par la talentueuse Dea Loher est un texte à la fois simple et très puissant qui se concentre sur la passion amoureuse pour évoquer en contrepoint la dureté créative de Manhattan. Sophie Loucachevsky a parfaitement compris que la dramaturge ne vient pas vraiment de Brecht, mais qu’elle a plutôt bâti son texte sur des références profondément américaines : Dos Passos aussi bien qu’Elia Kazan. La metteuse en scène a fait le choix de doubler tous les personnages masculins. Christophe Odent joue à la fois un Jason plus tendre et indécis qu’héroïque, ainsi que le sweatshop boss tout puissant sur sa chaise en métal et qui semble sorti d’un film des frères Coen. Et avec une voix gouailleuse inoubliable, Marcus Borja joue les deux rôle de coryphées évoquant la bohème new-yorkaise : le visuel doorman hispanique Vélasquez, produisant des « vraies » copies de Velazquez et Deaf Daisy, fille sourde d’alphabet city, qui prédit de son accordéon : « Accidents will happen ». La seule à être entière, charnelle et vivante est Médee, et ce jusqu’à la fin de la pièce où elle finit par constater « A partir de maintenant/ je deviens une mort vivante. »

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Le traducteur de la pièce, Laurent Muhlsein estime que « Manhattan Medea » aurait pu s’intituler « Pour en finir avec la passion ». Inspirée par les « Fragments du discours amoureux » de Roland Barthes, Sophie Loucachevsky ne cache rien des complexités de cette passion : ni son emprise de corset, ni la douleur, ni même le ridicule. Et elle transforme un espace scénique assez étroit (un rectangle de scène entre deux gradins) en lieux de croisements où toutes les nuances de cette passion peuvent s’exprimer. La claustrophobie, mais également la violence  traditionnellement hors-scène dans la tragédie classique, sont suggérées par la vidéo. Les épanchements les plus ridicules peuvent devenir pudiques quand Jason ou Médée disparaissent presque à une extrémité de la scène ; et tout Manhattan est suggéré par une projection d’ombre sur un panneau de mosaïque art déco. Ainsi, la pièce échappe à l’horizontalité par le positionnement d’acteurs en hauteur.

Une performance forte où absolument tout (texte, acteurs, thème, vidéo, costumes, chanson et peinture) converge vers la résolution de la tragédie amoureuse.

« Manhattan Medea », de Dora Loher, mise en scène Sophie Loucachevsky, avec Anne Benoit, Marcus Borja, Christophe Odent et Elimane Sylla, durée du spectacle 1h30, jusqu’au 20 février 2010, mer-sam 21h, mar 19h et dim16h, Théâtre de la Colline, 15, rue Malte-Brun, Paris 20e, m° Gambetta, 27 euros (abonné : 13 euros, moins de 30 ans : 13 euros, moins de 30 ans abonné : 8 euros). Réservation : 01 44 62 52 52 ou ici.

Photo © Manhattan Medea – Élisabeth Carecchio

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

One thought on “Manhattan Medea au Théâtre de la Colline”

Commentaire(s)

  • fourrier susan

    Manhattan Medea : la tragédie d’Euripide revisitée par Dea Loher et Sophie Loucachevsky, un moment de théâtre à ne pas manquer !

    February 15, 2010 at 19 h 04 min

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