Théâtre
“Mahmoud et Nini”, stéréotypes en stéréo, malaise en mono

“Mahmoud et Nini”, stéréotypes en stéréo, malaise en mono

16 July 2019 | PAR Elie Petit

Au festival d’Avignon, Mahmoud et Nini, de et par Henri Jules Julien,  nous  a mis mal à l’aise. En voulant accabler les préjugés, la pièce nous ensevelit sous un déluge, un worst-off de stéréotypes plus bas les uns que les autres, sans proposer de sortie salvatrice.

Virginie Gabriel, Nini, entre en scène. Rejointe rapidement par Mahmoud El Haddad, Mahmoud. Elle est une actrice française blanche, aux cheveux courts, on y reviendra. Il est un acteur égyptien, noir, gay, on y reviendra. Ils font connaissance. Jusque là, tout va bien.

Le dispositif scénique présente les deux acteurs face au public de la Maison Jean Vilar, séparés d’un mètre et surplombés d’un écran à surtitres. Nini est surtitrée en arabe, Mahmoud en français. Jusque là, tout va bien.

Nini pose beaucoup, énormément de questions à Mahmoud. Nini a des idées bien arrêtées sur l’Egypte, les arabes, les musulmans. Mahmoud, malgré l’ignorance crasse, les préjugés tenaces de Nini lui répond gentiment. On dirait un schéma politiquement correct, du blanc, à la pensée forgée à l’exotisme, à l’orientalisme, à la crainte aussi. Cette pensée existe, bien sûr. C’en est ici un worst-off, un concentré, un nectar même.

Pour le cas de Nini, on se croirait dans une démonstration bas de gamme de ce que l’on entend par ci-appelé whitesplaining, de ce que l’on appelait autrefois condescendance, le surplomb. Sur scène, on s’excuse de sa société, de son histoire, de ses bigots. Puis on ne s’excuse plus, on défend ce que l’on pense devoir être défendu. Nini parle de femmes voilées, Mahmoud de lesbiennes aux cheveux courts. Un tombereau de banalités.

“C’est compliqué”, “non, c’est ambigu”. La pensée des masses, des individus, ce qu’on veut leur faire porter, ce que l’on en porte, bien sûr, est paradoxal, complexe. Ici, c’est lourd. Et générateur d’un profond malaise. Non pas le malaise des propos, mais de leur assemblage, grossier. Bien sûr, l’auteur le sait, mais il veut nous montrer, devant nos yeux, nos oreilles saturés ce qu’est le racisme, l’intolérance, l’ignorance face à l’autre. Et l’on commence à percevoir l’origine de la pénible sensation.

Notre marasme se poursuit quand Nini rit, à gorge déployée, trop. Quand Mahmoud demande des excuses, pour lui et l’offense faite à sa religion. Quand il demande si la prochaine question est “Es-tu Charlie?”. Tout cela en ne se regardant toujours pas, en nous parlant à nous.

Mahmoud et Nini se détachent de leurs brochettes de bassesses pour accuser l’auteur. Ils se qualifient de caricatures. Après un déjà long calvaire, nous est servi le quart d’heure de fausse introspection de l’auteur. Henri Jules Julien voulait, le dit-il dans sa conférence de presse, “mettre les pieds dans le plat”, c’est réussi. Un pot-pourri, mal dosé, mal mélangé, indigeste donc, de clichés qui ne met pas en valeur les comédiens quand se mêlent la part de témoignage personnel et l’incarnation des pires extraits de répliques incultes. Il est “en colère permanente contre les siens” ceux qui mettent en scène des acteurs arabes dans une perspective orientaliste. A force de vouloir “balayer devant sa porte”, il en a évincé toute nuance. L’origine du malaise est ici, son surplomb, sa condescendance face à ce monde à qui il veut tirer l’oreille, apprendre la vie et la tolérance.

La danse finale laisse pantois. Cela partait d’une bonne intention. L’enfer en est pavé. Point d’enfer ici. Juste un pénible moment.

A la Maison Jean Vilar du 14 au 22 juillet 2019

Avec Mahmoud El HaddadVirginie Gabriel

Texte et mise en scène Henri Jules Julien
Dramaturgie Youness Anzane, Sophie Bessis
Traduction Mireille MikhailMahmoud El HaddadCriss Niangouna

Visuels : ©Christophe Raynaud De Lage

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Elie Petit
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