Théâtre
“Liberté à Brême” au festival du TNB : un Christ omniprésent

“Liberté à Brême” au festival du TNB : un Christ omniprésent

13 November 2019 | PAR Julia Wahl

Cédric Gourmelon propose sa vision de l’œuvre de Fassbinder au cours de laquelle Geesche, une femme des années 1910 malmenée par les hommes, empoisonne un à un ses bourreaux.

Une cloison en fond de scène sur laquelle est dessiné à la craie, en son centre, le Christ en croix de Cranach. Les pans de son vêtement volent au vent, comme sur le retable. Un reste de vie pour ce symbole d’une religion qui, dans quelques instants, va pousser Geesche à commettre de multiples meurtres ? À jardin, sur le même mur, un autre Cranach : Salomé avec la tête de saint Jean-Baptiste. A cour, faisant face à cette figure de femme meurtrière, la représentation par excellence de la pureté avec une Madone de Mantegna. Ici et là, la formule chimique de la strychnine ou le visage de Luther. Mais, surtout, ce Christ qui nous surplombe. 

C’est tout entière autour de ce Christ que la scénographie de Mathieu Lorry-Dupuy est conçue : c’est face à lui que Geesche prie, lui qui, au gré des éclairages, change de couleur, lui qui reste illuminé quand, progressivement, la scène est plongée dans le noir. C’est en son nom que Geesche se doit de servir les hommes et de nier ses sens.

Sur le plateau, un intérieur bourgeois figuré par une table et un canapé et, surtout, des tasses et une cafetière. Surtout, parce que ce sont ces éléments de vaisselle qui, d’instruments de soumission – “Geesche, un café !” – deviendront les outils de l’émancipation, réceptacles du poison qui libérera la femme de ses bourreaux (“Un café?” leur demande, rouée, la même Geesche). 

Or, autour d’elle, tout le monde meurt. Son premier mari, certes. Le second. Mais aussi son père et cette amie qu’elle veut délivrer de la servitude. Une femme au début modèle, qui résiste à l’adversité. Qui prie et obéit, accepte les coups et les humiliations, ourdissant ses plans de libération dans le secret. Mais qui, toutefois, revendique progressivement son droit à la liberté, passant d’une blouse d’un bleu grisâtre de prisonnière à une robe éclatante de femme joyeuse.

Le jeu de Valérie Dréville parvient à nous faire sentir la violence enfouie de cette femme tout en maintenant une incertitude sur ses véritables motivations et même sur ses actes : ses propres filles, mortes mystérieusement, les aurait-elle tuées ?

Une mise en scène subtile qui donne à la pièce de Fassbinder une résonance éminemment contemporaine.

Spectacle vu dans le cadre du festival du TNB, Théâtre National de Bretagne, jusqu’au 17 novembre.

 

Visuel : Simon Gosselin

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Julia Wahl
Passionnée de cinéma et de théâtre depuis toujours, Julia Wahl est critique pour les magazines Format court et Toute la culture. Elle parcourt volontiers la France à la recherche de pépites insoupçonnées et, quand il lui reste un peu de temps, lit et écrit des romans aux personnages improbables. Photo : Marie-Pauline Mollaret

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