Théâtre

Les vaines variations de Dimitriadis sur le désir sauvées par la mise en scène de Corsetti

17 May 2010 | PAR Christophe Candoni

« La Ronde du carré » est la troisième pièce que présente le Théâtre de l’Odéon cette saison de l’auteur grec Dimitris Dimitriadis. Le metteur en scène Giorgio Barberio Corsetti s’empare de ce texte comme d’un jeu grotesque et tragique et réunit certains acteurs qu’il avait dirigés l’année dernière dans « Gertrude », la pièce de Barker, qui fut un succès. Il réalise un travail conceptuel et soigné sans résoudre l’énigme qu’est cette pièce qui nous a plutôt laissé un sentiment partagé.

Tout au long de l’année, nous avons eu l’occasion de découvrir l’écriture dramatique singulière et l’œuvre contrastée de Dimitriadis. Cette énigmatique « Ronde du carré », regroupe quatre histoires parallèles, toutes ont pour fil conducteur le récit de situations de crise que vivent des couples en quête d’amour et de satisfaction érotique. Les comédiens sont très bons et dégagent une belle énergie collective. Chaque personnage porte pour nom une couleur : on suit la thérapie assez loufoque de Ciel et Cielle (très amusante Cécile Bournay) chez leur sexologue. On rencontre un autre couple sur le point de se séparer lorsque Violette, la femme (Maud Le Grevellec) annonce à son mari Violet (Bruno Boulzaguet) qu’elle couche avec Gris, son meilleur ami. En assumant un jeu plein de fantaisie mais parfois caricatural, Christophe Maltot (Jaune) et Laurent Pigeonnat (Rouge) forment un couple gay génialement drôle : les deux hommes font de Julien Allouf (Bleu) un objet de fantasme qu’ils n’arrivent pas à se partager et à qui ils réclament l’exclusivité. Apparemment bénignes et légères, les scènes s’enchainent et déclenchent souvent le rire mais aussi l’effroi voire l’indignation. Dans un tout autre registre, on suit le destin misérable de Verte qui revient à la maison alors qu’elle avait tout plaqué quelques années auparavant et qui devient la victime de son mari tortionnaire (Luc-Antoine Diquiéro). Elle voulait trouver la joie dont elle avait besoin et a accumulé les échecs. Anne Alvaro l’interprète de façon sidérante, donnant à voir sans emphase et avec une vérité brutale l’humiliation, la servitude dérangeante auxquelles se soumet la femme.

Dimitriadis fait prononcer par un de ses personnages « Rien ne change en vérité, le changement n’existe pas » et toute la mécanique de la pièce repose sur cette sentence redondante. Les personnages subissent leur existence inextricable et les situations ne font que se faire, se défaire, se refaire, et se répètent inlassablement. C’est ainsi que nous assistons au bout d’un moment à la répétition de ce que nous venons de voir. Le spectacle redémarre avec d’infinitésimales variantes, puis, ça recommence une fois de plus et encore une fois. Au fur et à mesure que l’on avance, la pièce s’effrite, la parole devient balbutiante, le texte se trouve réduit à des bribes.

D’un point de vue technique, cet éternel recommencement s’apparente à un exercice périlleux et difficile que le metteur en scène et les acteurs emportent avec un certain génie. Christian Taraborrelli a conçu une scénographie évolutive, colorée et géométrique ; il réalise des changements de décors à vue avec une fluidité spectaculaire et des effets fascinants comme le bureau suspendu à des fils. Le travail de Corsetti est remarquablement habile et inventif pour suivre à la lettre l’esprit délirant de l’auteur. Jamais n’est évincée non plus la trivialité crue du texte dans le spectacle qui comporte plusieurs scènes de nus. D’abord un peu raide et statique, la mise en scène de Corsetti évolue dans un délitement de la représentation qui plonge dans une progressive abstraction. La scène devient pour finir un terrain de jeu pentu et glissant sur lequel les corps chutent, le geste devient plus violent, les acteurs gagnent en liberté et en loufoquerie jusqu’à s’abandonner de manière vertigineuse.

Si nous avons affaire à une pièce sérieuse, son message est limité et frôle le déjà vu (on pense au théâtre de l’absurde) ; si, au contraire, il s’agit d’un gag insolite, d’une performance redoutable amusante mais qui s’étire en longueur et dont l’intérêt finit par nous échapper. Car, lorsque la pièce redémarre, le coup de théâtre fonctionne bien mais cela ne dure pas. Le spectateur comprend vite où l’auteur veut en venir, prend de l’avance sur la pièce et n’est plus surpris. Alors, on a vu bon nombre de personnes agacées quitter le parterre ce samedi.

La Ronde du carré, jusqu’au 12 juin, du mardi au samedi à 20h et le dimanche à 15h, à l’Odéon-Théâtre de l’Europe, place de l’Odéon, 6° arr. 01 44 85 40 40. theatre-odeon.eu,  à partir de 10 euros.

Visuel de La Ronde du carré, mention Alain Fonteray

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Christophe Candoni
Christophe est né le 10 mai 1986. Lors de ses études de lettres modernes pendant cinq ans à l’Université d’Amiens, il a validé deux mémoires sur le théâtre de Bernard-Marie Koltès et de Paul Claudel. Actuellement, Christophe Candoni s'apprête à présenter un nouveau master dans les études théâtrales à la Sorbonne Nouvelle (Paris III). Spectateur enthousiaste, curieux et critique, il s’intéresse particulièrement à la mise en scène contemporaine européenne (Warlikowski, Ostermeier…), au théâtre classique et contemporain, au jeu de l’acteur. Il a fait de la musique (pratique le violon) et du théâtre amateur. Ses goûts le portent vers la littérature, l’opéra, et l’Italie.

One thought on “Les vaines variations de Dimitriadis sur le désir sauvées par la mise en scène de Corsetti”

Commentaire(s)

  • Henrietta

    J’y étais également ce samedi…
    Je ris de mon état de jubilation actuel. Lorsqu’au bout de trois quarts d’heures, les spectateurs exaspérés partaient, je partageais leur point de vue, me sentant un peu prise en otage – face à un texte parfois inélégant, une tendance trop actuelle et vaudevillesque.
    Mais tout à coup la machine s’est emballée, le texte s’est déstructuré et les corps se sont libérés du carcan réaliste et se sont répandus dans un décors de plus en plus délirant (ah le deus ex machina habite Corsetti, quel génie!). Et tout à coup, c’était du théâtre, du vrai. Une jubilation telle, qu’elle efface toute notion de durée: fût-ce une minute, mais quelle minute orgasmique ce fut! La patience a du bon!

    May 17, 2010 at 16 h 20 min

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