Les impromptus se mettent au travail
Soir d’été parfait, ni trop chaud, ni très frais. Dans les Buttes Chaumont, bobos et cultureux se pressent avec raison au Pavillon du Lac pour assister au troisième “Impromptus” de la compagnie Les Treizièmes. En ce 2 juillet, la tendance n’était pas encore aux vacances mais bien au travail, thème de la soirée.
Faire du travail un spectacle et s’en divertir, le pari était osé et il fut hautement réussi. En une heure, quatre propositions s’enchaînent dans un lieu entièrement redecoré pour l’occasion par Avela Guilloux et Elsa Delula. Tout fait référence au travail, des gobelets de machine à café suspendus aux jolis lustres ou des messages en guirlandes accrochés aux toilettes. Ensuite vient le texte et le geste.
Notre parcours commence par une lecture, dans le jardin. Sous une tente Marion Amiaud nous fait descendre dans les mines de Courrières pour nous faire partager un témoignage de survivant à un éboulement. Le travail est ici banalisé face au système charbon, les hommes ne valent rien, l’entreprise les laissent mourir dans des conditions abjectes. Comme dans un zapping on change d’ambiance et d’étage pour débarquer dans la meilleure proposition de la soirée.
Nous voici en compagnie de Monsieur Belleville (Thibault Amorfini) qui continue son errance de lourd dragueur. Le voici pris d’une idée de génie : confronté à l’injonction « Je n’ai pas le temps, j’ai trop de travail », lui répond, « j’ai trop de temps et je n’ai pas de travail ». Il crée alors, l’entreprise du rien. En vendant du vide, il fait fortune. L’idée est belle : offrir du repos. Le business marche, trop, l’étouffe, il finira par licencier. Salaud de patron ! La scène se joue en bi-face, vidéo du Vingtième arrondissement de Paris en fond. Dans une interaction totale avec les spectateurs, les comédiens (Ludovic Lamaud, Céline Groussard) se mêlent au public pour nous interroger sur notre propre vision du travail et son pendant, le besoin de repos.
On change d’ambiance pour un casting Jeanne-d’Arc, qui sera la prochaine ? Passer une audition, est-ce du travail ? Cela se prépare, se répète. Certains et certaines (Faustine Tournan, Erwan Daouphars et Solenne Denis) sont prêts à tout pour réussir ! C’est bien mené. On se marre franchement face à ces foudres de guerre.
On monte à l’étage, direction terrasse pour une performance sous fond de Nostalgie FM. La définition du travail est ici décortiquée, rappelant au passage qu’il est associé à la douleur, notamment celle de l’accouchement. Cécile Chatignoux et Raouf Raïs s’amusent en associant le geste aux mots.
La soirée se termine par un autre coup de cœur, en la danseuse Elodie Tuquet qui prend les gestes du quotidien pour les transformer en obsessions. Essuyer une tache du bout des doigts, regarder sa montre, se recoiffer….
Les quatre propositions de spectacles vivant forment un seul et même spectacle qui vient interroger la relation toute nouvelle au travail. Le mot qui au départ désignait un « instrument d’immobilisation et éventuellement de torture » est aujourd’hui pris d’un aspect positif : ne pas en avoir est vu comme une déchéance. Les comédiens, danseurs et performeurs ont déroulé leur sujet de façon impeccable et inventive. On reste saisis par le jeu de Thibault Amorfini qui touche juste. Le vide est devenu un job en soit, récemment, la pièce Building venait se moquer de façon acerbe des conseillers de conseillers. Aux Impromptus on s’arrête de courir, se rencontre plutôt que de passer une audition sans issue, hurle en maillot de bain et danse de façon compulsive. Tout cela est un portrait tout à fait figuratif de notre relation au travail qui ici rend fou.
2 thoughts on “Les impromptus se mettent au travail”
Commentaire(s)