Théâtre
« Les Fâcheux » à Versailles : Molière comme en son temps, et pas que. Un objet stimulant

« Les Fâcheux » à Versailles : Molière comme en son temps, et pas que. Un objet stimulant

10 December 2014 | PAR Geoffrey Nabavian

Le travail de Jean-Denis Monory sur les textes du XVIIème vient une fois de plus nous proposer ses belles lumières. Les Fâcheux de Molière, donc. Eclairés rien qu’à la bougie. Avec des alexandrins dits en ancien français. Et une splendide troupe pour nous les servir. Un spectacle intelligent, et en même temps très vivant, qu’une seule vision ne suffit pas à épuiser.

[rating=4]

Les facheuxCe soir, les projecteurs du Théâtre Montansier ne joueront pas. Deux longues rangées de bougies posées au sol vont éclairer un fin décor en bois, figurant un jardin à la profondeur infinie. Dès le départ, une magie opère. Puis les comédiens entrent en scène pour nous servir l’histoire des Fâcheux.  Pièce qui met en scène Eraste, pauvre marquis qui ne parvient pas à voir Orphise, celle qu’il aime, tout accaparé qu’il est par des babillards vaniteux (les bien inutiles « fâcheux » du titre). Leurs interprètes, sublimes, jouent en… ancien français.

Pour les amateurs d’alexandrins, écouter la langue de Molière dite comme au XVIIème est un vrai régal. On s’étonne des prononciations, qui font entendre toutes, absolument toutes les lettres. Avec un accent d’un lyrisme ravageur. Et que font les corps ? Ils accompagnent ce retour dans le passé. Tous parlent face public. Avec les jambes croisées. Donnant des allures de danse à chacun de leurs gestes. La maîtrise des interprètes laisse ébahi.

Mais l’exercice, pour eux, n’est pas que difficile. C’est aussi une occasion de s’amuser. Les six acteurs prennent tous en charge plusieurs personnages. Impossible de les distinguer, leurs incarnations sont parfaites. Et Jean-Denis Monory joue huit figures à lui seul. Et surtout, tout cela n’est pas figé. Ils jouent, nos comédiens. Eraste, par exemple, pique des colères et panique. Sans trop en faire. La justesse de Malo de La Tullaye le rend attachant. Et vers le début, le fâcheux compositeur nous gratifie d’une chanson exceptionnelle, interprétée avec une gourmandise folle. Telle, que tout le monde la reprend.

Enfin, si Les Fâcheux n’est pas la pièce la plus palpitante de Molière, ni la mieux construite au niveau du scénario, Jean-Denis Monory nous donne à découvrir beaucoup : c’est une comédie-ballet, et il en reconstitue les intermèdes dansés. Accompagné par trois instrumentistes. Ces passages de ballet posent question : ils sont admirables, superbement réglés, mais apparaissent si loin de nos représentations actuelles… Dépaysant. Après, le soin qui leur est porté, et le temps qu’ils prennent, amène parfois un peu de lourdeur… Les discours des fâcheux, vers la fin, se font un peu plus pesants… Mais qu’importe : cette mise en scène propose plaisir, découverte et magnifiques alexandrins. A voir pour rêver.

Présenté au Théâtre de l’Epée-de-Bois en janvier dernier, Les Fâcheux se joue encore pour un soir au Théâtre Montansier de Versailles. Dates suivantes : à Ermont (Théâtre Pierre Fresnay) le 12 décembre ; à Monts (Espace Jean Cocteau) le 8 janvier 2015 ; à Brives (Les Treize Arches) le 11 janvier ; à Périgueux (l’Odyssée) les 13 et 14 janvier ; à Villeneuve-sur-Lot (Théâtre Georges Leygues) le 18 janvier ; à Albi (Scène nationale) les 19 et 20 janvier ; à Castres (Théâtre municipal) le 22 janvier ; à Ribeauville (Le Parc) le 10 avril.

Les Fâcheux de Molière, mise en scène de Jean-Denis Monory. Avec Malo de La Tullaye, Camille Metzger, Jean-Denis Monory, Bastien Ossart, Alex Sander Dos Santos et Gudrun Skamletz. Musiciens : Manuel de Grange, Vojtech Semerad, Jennifer Vera. Durée : 1h40.

Visuel : © Katell Itani

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Geoffrey Nabavian
Parallèlement à ses études littéraires : prépa Lettres (hypokhâgne et khâgne) / Master 2 de Littératures françaises à Paris IV-Sorbonne, avec Mention Bien, Geoffrey Nabavian a suivi des formations dans la culture et l’art. Quatre ans de formation de comédien (Conservatoires, Cours Florent, stages avec Célie Pauthe, François Verret, Stanislas Nordey, Sandrine Lanno) ; stage avec Geneviève Dichamp et le Théâtre A. Dumas de Saint-Germain (rédacteur, aide programmation et relations extérieures) ; stage avec la compagnie théâtrale Ultima Chamada (Paris) : assistant mise en scène (Pour un oui ou pour un non, création 2013), chargé de communication et de production internationale. Il a rédigé deux mémoires, l'un sur la violence des spectacles à succès lors des Festivals d'Avignon 2010 à 2012, l'autre sur les adaptations anti-cinématographiques de textes littéraires français tournées par Danièle Huillet et Jean-Marie Straub. Il écrit désormais comme journaliste sur le théâtre contemporain et le cinéma, avec un goût pour faire découvrir des artistes moins connus du grand public. A ce titre, il couvre les festivals de Cannes, d'Avignon, et aussi l'Etrange Festival, les Francophonies en Limousin, l'Arras Film Festival. CONTACT : [email protected] / https://twitter.com/geoffreynabavia

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