Théâtre
Les 22 000 couilles

Les 22 000 couilles

25 April 2012 | PAR Yaël Hirsch

Oser adapter “Les Onze mille verges”(1907), le texte érotique de Guillaume Apollinaire, sur les planches est un pari risqué que le metteur en scène Godefroy Ségal et les autres géniales comédiennes Géraldine Asselin, Barbara Ferraggioli, Nathalie Hanrion et Mathilde Priolet relèvent haut la main. Originale sans être prétentieuse, puissante sans jamais oublier d’être drôle cette version des aventures du Prince Vibescu étale au moins 22 000 couilles de courage ! A voir d’urgence du 23 mai au 3 juin à la maison de la poésie (si vous avez bien sûr plus de 18 ans!).

Le Prince roumain Mony Vibescu est adepte d’une vie de joyeuse luxure dans sa belle ville de Bucarest. Mais il caresse secrètement l’espoir de réaliser son rêve : mettre en scène ses ébats de tous les diables avec des vraies parisiennes. Après une orgie qui se termine plus bruyamment (et violemment) que d’habitude et crée le scandale, il saute dans l’Orient express avec sa fortune pour rejoindre la ville Lumière. Dès son arrivée, il rencontre la délicieuse cocotte Culculine d’Ancôme, à qui il promet, si elle lui accorde ses faveurs, de la baiser au moins vingt fois. Sinon que onze mille vierges ou même verges le punissent. Alléchée par la proposition, Culculine l’emmène chez une amie très dévergondée, Alexine Mangetout. A la première session, tout le monde s’en donne à corps joie, mais le prince ne tient pas sa promesse de Gascon. Dès le deuxième round de leurs ébats la punition du prince semble se déclencher : l’irruption de cambrioleurs sans foi ni loi se joignant à la fête sexuelle transforme le boudoir de Cuculine en scène de crime. Mony Vibescu repredn l’Orient express à l’envers… Les Onze mille verges sont peut-être au bout des rails…

En parallèle à sa mise en scène du “Quatre-vingt Treize” de Hugo, la vision que Godefroy Ségal propose des Onze mille verges est tout à fait réjouissante. La scénographie est tout simplement brillante, la grande salle de la Maison de la Poésie étant réduite et transformée pour asseoir le public en rond autour d’un parallélépipède d’action. Trois poufs aux angles bien arrêtés froment l’espace des ébats et des débats, espace qu’un grand film alimentaire entoure, comme si les 4 comédiennes étaient à observer à travers un aquarium. D’une vivacité incroyable, elles entrent en scène en culottes noire et nuisettes transparentes. Une sobriété qui leur permettra, grâce à l’aide de moustaches portée en collier, d’interpréter tous les rôles : les gourgandines et les valets, ainsi qu’à tour de rôle, le prince en personne. Une fois la machine lancée, rien ne l’arrête. Et le spectacle offre 1h30 d’appétits bruts. Quasiment pas de censure du beau texte Apollinaire : ni la nécrophilie, ni la pédophilie, ni les répétitions sadiennes inévitables du genre ne sont censurés. Et les quatre comédiennes entremêlent jambes, caresses, cris, grands jets de peinture-foutre, de chocolat-merde et même de corde-boyaux, sans aucune fausse retenue. Tout fonctionne à merveille, même les immenses navets et les rouges tomates. Tout fonctionne car tout est à sa place : la compulsion répétée, la perversion montrée, au contraire de Sade le vrai goût du sexe transmis, la langue adulée. Et surtout l’humour omniprésent. L’on rit de bon cœur tout au long de la pièce, non par gêne, mais parce que les aventures de Vibescu sont belles et bien caricaturales et drôles. Là où le metteur en scène aurait pu intellectualiser à grands renfort de Bataille, de Blanchot ou de réflexions sombres sur la domination et mystiques sur la pauvreté de la chair, il assimile aussi ses référence mais préfère convier ses quatre muses moquant tout machisme à un véritable festin de langue. Un tel tour de force qu’on sort de la pièce ravi, imaginant bien volontiers la douche bien méritée des quatre comédiennes.

Les Onze Mille Verges, de Guillaume Apollinaire, Compagnie In cauda, dir. Godefroy Ségal, avec Géraldine Asselin, Barbara Ferraggioli, Nathalie Hanrion et Mathilde Priolet, Scénographie : Godefroy Ségal et Benjamin Yvert, Création lumière : Émeric Thiénot et Benjamin Yvert, Costumes : Séverine Thiébault. Durée du spectacle : 1h30.

(c) In Cauda

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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