Théâtre
Le Dragon aux Amandiers : Où se cache la bête ?

Le Dragon aux Amandiers : Où se cache la bête ?

28 March 2023 | PAR Farah Malaoui

Thomas Jolly a présenté son spectacle Le Dragon d’Evgueni Schwartz au Théâtre des Amandiers à Nanterre, du 15 au 26 mars. Une fable terrifiante, symbolique et politique où le pouvoir tyrannique d’un monstre à trois têtes ne tient qu’à la complicité du peuple dans son renoncement à combattre la servitude.

Le pouvoir se nourrit de la chair du peuple

Dans une contrée imaginaire, un dragon à trois têtes règne en despote sur une population docile et servile. Chaque année, les habitants se soumettent à la gargantuesque offrande alimentaire et au sacrifice d’une jeune fille pour masser le dos du monstre.

Pour nourrir la bête, le peuple se tue au travail. En comptable rigoureux, chaque sujet amasse et dépose avec abnégation au pied du monstre le fruit de ses efforts. Et comme pour sceller le sort commun de la ville, l’ensemble des administrés consent cruellement à abandonner l’une des leurs comme on renonce à un bout de soi. Corruption, suspicion, délation, résignation … figurent les fortifications de leur emprisonnement.

Ainsi dans un calme immuable sévit le règne absolu de cette cité fantastique grâce à l’adhésion collective et sous le contrôle d’un Bourgmestre, sorte de Premier ministre de ce régime tyrannique, qui finira par accepter de se défaire lui-même du joug … uniquement pour devenir Calife à la place du Calife et se muer à son tour en bête de pouvoir.

C’est sans compter sur la meilleure part de nous-mêmes incarnée par un vagabond outrageusement nommé Lancelot. Héros professionnel, son métier est de chasser les monstres. Bien sûr, il tombe amoureux de la jeune fille, et avec ce sentiment inconditionnel, s’insinue dans le tissu du peuple le parfum de la révolte et l’éveil des consciences. À nouveau, la mécanique collective se met en marche pour renverser le tyran et son ordre maléfique.

Le Dragon, une satire universelle ?

La bête n’est pas forcément celle que l’on croit. Elle peut être dissimulée en chacun de nous, à chaque niveau de l’échelle sociale, du balayeur à l’archiviste, de l’ouvrier à l’élite. Et à l’inverse, le sauveur n’est pas toujours celui que l’on connaît. Il peut être étranger et vagabond.

Comment et pourquoi s’établit le chaos ? C’est toute la question du consentement et de l’action collective qui est explorée. Toute ressemblance avec une certaine actualité constitutionnelle serait fortuite, la pièce est en tournée depuis l’année dernière.

L’écriture fantasque d’Evgueni Schwartz, dénonçant avec habileté le totalitarisme en son époque, fournit à Thomas Jolly toute la matière qu’il aime théâtraliser. À travers la dramaturgie, style qu’il affectionne particulièrement, ce jeune prodige aime travailler la glaise humaine en triturant les valeurs, la symbolique, la pensée… qui abritent le paradoxe humain dans son organisation sociétale.

Dans sa troupe, parmi les fidèles on reconnaît immédiatement l’impeccable Damien Avice dans le personnage de Lancelot (Thyeste dans la fabuleuse mise en scène de et avec Thomas Jolly à Avignon) ; le bourgmestre superbe et déjanté est interprété par Bruno Bayeux très en forme ; et Moustafa Benaibout est l’inquiétant dragon sous forme humaine.

Un dragon à trois têtes, mais aussi un chat qui parle, un tapis volant, un chapeau qui rend invisible, et une épée invincible créent la magie de cette œuvre onirique. On ressort un peu sourd du foisonnement d’effets sonores, mais avec un réel plaisir de ce spectacle de qualité qui dure deux heures trente sans entracte. C’est qu’il en a des choses à raconter Thomas Jolly…

Visuels : Création graphique Paul Cox

 Photos © Nicolas Joubard 

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