Théâtre
Le Camion de Duras sur une voie de traverse

Le Camion de Duras sur une voie de traverse

19 October 2017 | PAR Christophe Candoni

Du film-scandale Le Camion de Marguerite Duras, présenté en sélection officielle au Festival de Cannes en 1977, Marine de Missolz signe, au TNS puis à la MC93 de Bobigny, une transcription théâtrale audacieuse mais qui contredit le geste essentialiste de son auteure.

[rating=3]

Champ contre champ, Marguerite Duras et Gérard Depardieu, assis l’un et l’autre de chaque côté d’une table dans un salon. Elle lit à son comédien pétri d’admiration le scénario de son prochain film qui encore en gestation n’existe que sur le papier et dans son imaginaire. Cette atteinte au genre cinématographique réduit à sa plus simple expression par la volonté délibérée de ne rien montrer de la situation – un long trajet sans point de chute, une femme sans identité, ayant pour seules caractéristiques d’être une « déclassée » et de porter une valise, est prise en stop par un routier – à l’exception de quelques longs travellings panoramiques, c’est l’expérience osée par la romancière qui prend la caméra.

Dans l’étroite cabine d’un semi-remorque Saviem bleu traversant les paysages ruraux et industriels de la banlieue parisienne, la femme loquace soliloque. Elle disserte sur la situation politique du pays sans obtenir de réponses de son interlocuteur apparemment inattentif. Pourtant Duras met en scène une rencontre qu’elle considère comme efficiente, partagée. Car selon elle, « ils se trouvent enfermés dans un même lieu, pendant un certain temps, incarcérés, voyez, verrouillés, dans un même lieu, un certain temps, le principal est atteint. » Revisitant le caractère incongru et intimisme d’une telle rencontre, les acteurs s’inventent sur scène une dînette sur chaises pliantes où ils sirotent un Orangina sortis d’une glacière vintage.

Pas une seule fois la femme apparaît sur les plans du film, il en est de même dans la transcription théâtrale qui en est faite. Trois acteurs sont présents sur le plateau. L’un est une présence muette et parfois dansante, le deuxième un interlocuteur mutique ou colérique et enfin, Laurent Sauvage joue Marguerite Duras. Sensationnel, totalement habité et écorché, il s’empare sans faille d’un texte dense malgré son apparente banalité dont il dit avec une admirable éloquence les mots comme les silences. Tout du texte de Duras est audible, rendu visible, concret, hyper sensible.

Quelque chose de profondément désabusé affleure du propos à la forte portée politique et humaine, à savoir une impossibilité d’entrevoir un éventuel basculement du monde, une révolution. D’une manière distanciée, la mise en scène fait un retour au temps immémorial des chevaliers. Un Moyen-Age de pacotille envahit l’espace et les comédiens en cotte de maille et longs drapés.

La route dans l’obscurité, le bitume gris, la mer, la lune, les arbre nus et la végétation givrée par le froid hivernal, tous ces éléments contenus dans le texte sont portés de manière illustrative au plateau par des projections vidéos. Se déploie un habillage visuel et sonore séduisant mais finalement envahissant. Trop de musiques, trop de fumées, trop d’effets. Le spectacle proposé par la jeune Marine de Missolz qui a travaillé avec des pointures comme Stanislas Nordey ou Julien Gosselin, s’autorise des interventions inutiles et sophistiquées qui contredisent la radicalité brute de Duras. Très expérimental, son film revendique un geste absolument essentialiste. Malheureusement, ce n’est pas le choix retenue pour sa forme théâtrale.

Photo (c) Jean-Louis Fernandez

Infos pratiques

Théâtre Saint-Léon
Corderie Royale
Minel-A

Publier un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Your email address will not be published. Required fields are marked *


Soutenez Toute La Culture
Registration