Théâtre
“La vie est un rêve” au théâtre 71 de Malakoff

“La vie est un rêve” au théâtre 71 de Malakoff

18 January 2013 | PAR Justine Braive

Jacques Vincey met en scène la pièce mythique « La vie est un rêve » de Calderon, la plus célèbre et la plus emblématique du siècle d’or espagnol.

Amour, honneur, pouvoir, filiation, raison, passion, justice, mensonge. La pièce de Calderon, écrite en 1635, aurait pu se limiter à une simple histoire de cape et d’épée où un père et son fils se disputent le pouvoir avec en arrière plan une histoire d’amour chevaleresque. Les premières minutes de la pièce, alors que surgissent deux comédiens en cotes de mailles, nous laissent penser qu’il s’agit d’une banale histoire moyenâgeuse.

Mais Calderon va bien au-delà du roman épique et nous livre pendant deux heures trente une réflexion moderne sur l’illusion et la réalité.

La pièce mêle deux intrigues, une jeune femme bafouée Rosaura cherche à venger son honneur et s’aventure en Pologne déguisée en homme. Lors de son périple, elle échoue de manière accidentelle sur une colline et rentre dans une tour qu’elle aperçoit. Dans cette tour, elle y fait la rencontre de Sigismond, héritier du trône de Pologne, attaché comme une bête (et d’une bête, il en a tout l’air. Le comédien Antoine Kahan, avec son corps d’ancien gymnaste, prend l’allure d’un animal déployant ses muscles lorsqu’il veut se libérer de ses chaines). Le prince a été élevé à l’écart du monde suite aux présages de sa naissance annonçant qu’il tuera son père et règnera en tyran. Le roi, Basile, pour éviter que son fils ne mène le royaume au chaos, n’a d’autre choix que de l’enfermer loin de tout où un tuteur se charge de son éducation. Des années plus tard, au moment de devoir choisir qui briguera la couronne, le roi Basile doute. Celui qui avait voulu conjurer le destin, décide finalement de le provoquer et de mettre son fils sur le trône le temps d’une journée. Il cherche à étudier son comportement tout en lui faisant croire qu’il s’agit d’un rêve. Commence alors pour Sigismond une étrange expérience, entre rêve et réalité.  Si Sigismond se comporte en bon souverain, il garde le pouvoir. S’il se révèle tyran, Sigismond retournera dans sa tour.

En dehors du thème central relevant du destin et du déterminisme, le premier ressort de la pièce est celui du rêve. La nouvelle traduction de la pièce, de Denis Laroutis, opte pour le mot « rêve » plutôt que celui de « songe ». Ce changement sémantique n’est pas anodin, le terme « rêve » relevant plus du domaine de la psychanalyse et de la philosophie que celui de « songe ». Or, il s’agit bien d’une pièce métaphysique, qui questionne « l’existence du monde » et nous invite à déterminer si la vie n’est qu’une illusion, à tenter de tracer une frontière entre le réel et l’irréel. Comme Sigismond, nous nous interrogeons jusqu’au bout sur la réalité de son expérience « Ca a donc été la vérité et non pas un rêve… Et si cela est la vérité, — autre embarras non moins grand, — comment donc ma vie l’appelle-t-elle un rêve ? Est-ce donc à dire que la gloire de ce monde ressemble tant à un rêve, que la plus véritable n’est qu’un mensonge, et que la plus fausse a quelque chose de vrai ? Y a-t-il de l’une à l’autre si peu de différence que l’on puisse se demander si ce que l’on voit est vérité ou mensonge ? sont-elles si semblables que l’on puisse hésiter entre les deux ». En l’espace de trois jours, Sigismond passe de l’état de bête à celui d’homme. Plongé dans le doute, il se révèle incapable de se comporter de manière digne, ce qui obligera son père à l’enfermer de nouveau. Mais lorsque l’homme-bête parvient à se libérer grâce à un soulèvement populaire, il semble avoir pris conscience qu’il peut déjouer les astres en maitrisant son destin en faisant le bien « On n’a rien à perdre à bien agir, même en rêve“, conclut-il.

Dire que la vie est un rêve ne veut pas dire que rien n’a de sens. Il s’agit plutôt d’« affirmer la responsabilité que nous avons de nos utopies ». « On a les rêves qu’on mérite » selon la dramaturge Vanasay Khamphommala. Nous serions libres de nos songes et de choisir la lumière plutôt que les ténèbres en cherchant à faire le bien. Il semblerait que Sigismond en ait pris conscience lors de sa dernière tirade. Craignant de se réveiller à nouveau et de se retrouver dans sa triste prison, il décide alors de ne pas se plaindre du rêve qu’il a fait, affirmant qu’il a « appris par là que tout bonheur en ce monde passe comme un songe » et qu’il souhaite « profiter » du sien « pendant qu’il en est temps ».

Outre le génie de l’œuvre la plus connue de Calderon, la pièce doit beaucoup au jeu des acteurs ainsi qu’à une mise en scène superbe. Vincey a imaginé une seule pièce où toute l’action se déroule. Le scénographe, Mathieu Lorry-Dupuy, a donc construit un décor où les portes s’abattent quand les personnages rentrent sur scène à chaque changement de lieu et Alexandre Meyer et Fréderic Minière, par un jeu de lumière et de sons, transforment la tour en palais.

 

Visuel : (c) Pierre Grosbois

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Justine Braive

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