Théâtre
La plongée sonore spectaculaire de l’Ircam pour le T2G

La plongée sonore spectaculaire de l’Ircam pour le T2G

19 November 2020 | PAR Amelie Blaustein Niddam

L’Institut de recherche et coordination acoustique/musique collabore depuis sa création avec le spectacle vivant et très régulièrement avec le Théâtre de Gennevilliers, qui devait accueillir ce mois-ci en ses murs une création de théâtre très particulière, puisque immersive, mais sans comédien !

Entrer dans le son

En ce moment au T2G, Daniel Jeanneteau peaufine, puisque l’absence imposée de spectacles lui offre, si on ose dire, du temps en plus pour toucher exactement l’endroit recherché. Les Musiques-Fictions sont des œuvres sans corps. Cela nécessite, pour qu’une dramaturgie naisse, de rendre tout le reste acteur, soit : le son et la lumière.

Au son c’est l‘Ircam qui s’y colle à merveille et à la lumière, c’est la révélation Juliette Besançon qui apporte une autre forme d’écoute.

Ces trois textes sont totalement indépendants les uns des autres, ils n’ont rien à voir ni dans la forme ni dans le fond. Ils sont reliés par le dispositif, nommé le dôme ambisonique, qui est l’écrin idéal pour “montrer” la toute nouvelle collection de L’Ircam : Musiques-Fictions, “un programme où la création musicale est en prise directe avec la fiction littéraire.” Cette belle idée dirigée par Emmanuelle Zoll “entend renouveler le genre de la fiction radiophonique”. Et comment vous dire que cet objectif est atteint.

La submersion du son et de la lumière 

Nous sommes donc assis sur des chaises pivotantes sous le “dôme ambisonique”. Pour le dire directement et simplement ce dispositif “recourt au principe de spatialisation sonore, fondé sur un système de contrôle de la diffusion des sons et de leur localisation dans l’espace. La multiplication des haut-parleurs permet de reproduire une situation d’écoute proche de celle du monde réel”. Il y a donc au dessus de nous des cercles qui seront éclairés ou non sur lesquels sont attachées les enceintes. Nous ne les voyons presque pas. Le son est invisible en grande partie. C’est seulement quand la lumière baisse qu’il se voit. Ce pas de deux entre le son et la lumière marche à merveille. Aucun n’empiète sur l’autre et tous les deux, dans des jeux de pénombre et de silence, de projecteurs et de grands éclats servent la voix des acteurs.

Entendre des voix

Nous avons assisté à trois “représentations”. C’est un peu comme une lecture que l’on écouterait sans la regarder, mais les yeux ouverts. Trois histoires passionnantes.

D’abord, ce fut Naissance d’un pont, le premier épisode, écrit par Maylis de Kerangal, mis en scène par Jacques Vincey et en son par Daniele Ghisi. Et ça joue à plein tubes ! François Chattot (Georges Diderot), Marie-Sophie Ferdane (Summer Diamantis) et Laurent Poitrenaux (Sanche Alphonse Cameron) sont les protagonistes de cette histoire qui raconte la construction d’un pont dans la ville de Koka. Immense événement ! 

Tout le monde grouille autour du chantier et le flux sonore devient épais pour le spectateur-auditeur. La tension monte, “il s’agit d’un chantier à 3 milliards de doll” comme l’éructe Diderot. La spatialisation cherche ici à nous faire ressentir cette montée en puissance, mais rien n’est jamais littéral. 

Le deuxième texte nous amène dans une réalité bien moins fictionnelle. Annie Ernaux en personne nous lit son Autre fille. Là, le travail sur la voix est tout autre. Aurélien Dumont mixe son timbre pour lui donner une présence spectrale.

Nous sommes devant la tombe de la sœur qu’elle n’a pas connue. Celle qui est “sans corps, sans voix”. Pour ressentir cette absence immense, les transitions sont métalliques. Cela crisse, les cordes en précipité s’enfoncent dans le secret de famille. “J’avais vécu dans l’illusion, je n’étais pas unique”. 

Le silence s’invite pour offrir la voix nue, comme si aucune mise en son ne pouvait augmenter la puissance de ces mots : “orgueil et culpabilité d’avoir été choisie pour vivre. Je n’écris pas parce que tu es morte. Tu es morte pour que j’écrive, ça fait une grande différence”.

Les musiciens de l’ensemble L’Instant Donné, Nicolas Carpentier (violoncelle), Maxime Echardour (percussions), Mayu Sato-Brémaud (flûte) permettent un crescendo dans les transitions musicales entre les parties du texte. Plus on avance, plus le son devient liquide, on flotte désormais dans la “loi du silence”. La mise en espace et en son de ce récit sur le secret, le silence gardé par les familles est aussi aride que puissante.

Enfin, un tout autre monde, bien plus rigolo. Place à l’univers électronique d’Olivier Pasquet qui s’amuse à plonger dans un thriller chinois des plus absurdes. Bénédicte Wenders (la narratrice), Geoffrey Carey (Ethan Coetzer), Julien Cussonneau, (Marwan Cherry), Isabelle Mazin (Jackie Thran), Malvina Plégat (La Clown, alias Bizzie), Sabine Moindrot (La Grande Brune, alias Silly) sont les acteurs d’une prise d’otages bien particulière. Les trois filles tiennent captive une immense cave à vin alors qu’un typhon approche. Contrairement aux deux premières pièces, le son et la lumière sont omniprésents et 100% électroniques.

Dans cette troisième pièce, Bacchantes, Céline Minard utilise au maximum le dispositif du dôme, car les gentils et les méchants communiquent uniquement par haut-parleurs interposés. Les bouteilles se vident, les marques de luxe sont des rançons et le son devient de plus en plus enveloppant et tendu. On a l’impression d’être le filet dans une partie de ping pong. Le récit et la permanence électronique offrent un chaos très juste. On a peur, on en arrive à se demander si c’est vraiment du théâtre.

Ce dispositif génial et exigeant sera à vivre au T2G, dès que possible.

Visuel : ABN

 

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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