La Mouette, Nauzyciel passe l’épreuve du vent
La Mouette de Tchekhov, du théâtre sur le théâtre dans la cour d’Honneur du Palais des Papes. Cela en spectacle de clôture. Que de symboles. Une façon de fêter un double anniversaire : les 100 ans de Vilar pour qui “les classiques c’est ce qui avait de la classe” et les 20 ans du Centre Dramatique d’Orléans qui célèbre 20 ans de créations. Arthur Nauzyciel revient à Avignon après le succès de Karski, pour s’emparer du texte en le faisant porter par une magnifique distribution. Couvrez- vous, ce sera grandiose.
Il fut un temps pas si lointain où la cour d’honneur n’était pas munie d’amplificateurs et où les acteurs jouaient à nu. Cela s’appelait de la torture, les sons partaient se perdre dans les douves du Palais. Aujourd’hui, les acteurs sont munis de bouées de sauvetage, des micros HF comme on dit. Jouer La Mouette, c’est à dire s’interroger sur le métier de comédien par grand vent et grand froid, cela ajoute une magie miraculeuse, les gelâtes trimbalées par les rafales faisant danser les lumières et le grand panneau du décor. C’est dans une scénographie métallique et sombre d’une élégance majestueuse qu’évolue la grande troupe. Le plateau est recouvert de billes de caoutchouc rappelant la cendre. Quatre espaces sont définis : à gauche, ce mur barrant le plateau, en avant scène un mini plateau, le terrain des rencontres et des confidences, à droite, un globe coupé en deux à la fois théâtre et porte d’entrée du château et, par la fenêtre de l’Indulgence où le Pape recevait le couronnement pontifical, les musiciens, Ruth Rosenthal, Xavier Klaine et Matt Elliot font entendre orgues, guitare et voix dans une bulle sonore, magnifique compagne de l’inextricable isolement dans laquelle les personnages s’engouffrent.
Le spectacle commence de façon inattendue par deux événements : la mort de Tréplev (Xavier Gallais) et la si célèbre tirade “Je suis une mouette, ce n’est pas ça, je suis une actrice” ici prononcée par sa mère, la « vielle » comédienne Arkadina (Dominique Reymond). Le ballet entre en scène, les comédiens, costumes noir superbes parsemés de plumes, pour Treplev puis Nina, veste renforcée au niveau du haut du dos leur donnant une allure d’oiseaux prêts à s’envoler et visages masqués dansent dans une chorégraphie d’envol. La lumière qui choisit de faire le jeu des ombres fait onduler les reflets sur l’immense toile métallique qui occupe une large place sur le plateau. Nous comprenons vite dans les mots de Sorine (Emmanuel Salinger) que nous sommes à la campagne et qu’on s’y emmerde ferme. La première opposition se met en place, la ville contre la campagne, elle sera suivie d’une seconde, la jeunesse contre la vieillesse, puis d’une troisième, la plus centrale, les modernes contre les classiques incarnée par l’affrontement, porté jusque dans leurs prénoms, entre Arkadina et Nina.
Tréplev veut monter un spectacle de théâtre contemporain, sa jeune égérie jouant un texte dans un phrasé étonnant et dans une mise en scène détonante. Nina (Marie-Sophie Ferdane) est la provinciale, c’est pourtant elle qui les laissera sur place dans “le trou”. Nauzyciel choisit d’offrir une lecture dramatique au texte lui enlevant, à raison, ses ressorts comiques. En cela, il montre ce qu’adapter veut dire. A la façon de Thomas Ostermeier il actualise pour rendre audible. Nous avançons dans le temps, dans cette grande maison où les chevaux se font rares, où sortir est compliqué. Petit à petit, l’enfermement avance, seule Nina parvient à s’échapper, à s’émanciper. Elle ne tergiverse plus, elle fait le choix d’une vocation emportée par l’amour qu’elle voue à Trigorine, écrivain people (Laurent Poitrenaux).
Le texte, sublimé par un jeu “vilarien” tout en emphase et en belle lenteur offre à La Mouette une épaisseur que nous ne lui connaissions pas. C’est le statut d’artiste qui est en question, comme véritable métier et non comme amusement sociétal. Il est ici incarné par une troupe au jeu parfait et puissant.
Par son point de vue scénographique, Nauzyciel parvient à faire de La Mouette un enjeu de politique actuelle. La circulation et l’occupation optimale du plateau nous fait entrer d’un tourbillon passant de léger à lourd dans une progression très élégante. Dans la longue nuit, la Mouette fait sienne le froid et le vent pour revenir au rivage dans un mouvement de sac et de ressac tout en douleur.
Visuel : La Mouette – Arthur Nauzyciel – © Christophe Raynaud de Lage – Festival d’Avignon
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7 thoughts on “La Mouette, Nauzyciel passe l’épreuve du vent”
Commentaire(s)
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mordue-de-theatre
Mais finalement, vous parlez beaucoup de l’histoire et très peu de la mise en scène … Qu’y a-t-il de si “grandiose” dans cette mise en scène ? Que trouvez-vous de “superbes” à leur costumes, que je qualifierais plutôt de “simples” : ils sont tous noirs, et se ressemblent beaucoup. Alors certes, nous sommes tous des mouettes me direz-vous. Mais dans ce cas, il n’est pas besoin de sortir Treplev et Nina du lot …
De plus, vous parlez de jeu “vilarien” : mais ce dernier n’était-il pas avant tout respectueux du texte et des intentions de l’auteur ? Ici, le texte est bouleversé, puisque la dernière tirade de Nina est mise au début dans la bouche d’Irina. De plus, Tchekhov recherchait une représentation de la vie, y compris avec ses côtés parfois un peu grotesque, voire comiques. Vous dites qu’ils sont gommés “à raison” : mais quelle raison est assez forte pour piétiner ainsi Tchekhov et ce qu’il désirait ?
Enfin, vous semblez sublimer, sans raison, tout ce qu’a fait Nauzyciel. Car vous parlez d’une “belle lenteur” et d’une “longue nuit”, sans mentionner le fait que le spectacle dure 4 heures. 4 heures, pour un Tchekhov, c’est long. C’est très long. Personnellement, je parlerais plutôt d’une “lenteur artificielle” qui n’est pas fondée sur des sentiments à transmettre, (puisqu’aucun sentiment ne passe), mais sur la diction tout à fait particulière des comédiens, qui séparent chaque syllabe de plusieurs secondes.
Alors, pour reprendre vos propres mots, “Nous comprenons vite dans les mots de Sorine (Emmanuel Salinger) ET DES AUTRES COMÉDIENS, que nous sommes À UN SPECTACLE SANS INGÉNIOSITÉ, SANS IDÉE PRÉCISE, ET SANS BUT, et qu’on s’y emmerde ferme.”
Ktt
Mais sérieusement on s’y emmerde dans cette pièce sans rythme. Et l’intérêt de commencer par la fin je ne le vois pas. Je traiterai Nauzyciel de nécrophile pour avoir fait cela à Tchekov. Tout le monde n’a pas un dossier de presse pour comprendre pourquoi on diffuse cette vidéo qui n’apporte rien à l’histoire. De plus ou est la rupture du spectacle de Treplev avec le reste, nulle part. Et puis cette façon de jouer toujours face au public sans échange de regard entre acteur c’est fade. Je l’ai vue à la télé et ben non au théâtre intello merdo.
Amelie Blaustein Niddam
Merci chaleureusement pour votre lecture et votre avis précieux, mais, il est en revanche trés clair que la captation n’existe pas en spectacle vivant, la télé tue la relation au public au contraire trés présente “en live”, si vous avez l’occasion de voir le spectacle à Paris, n’hésitez pas.
Didier
Magnifique spectacle en effet !
Dans cette noirceur et cette emphase, j’y ai vu un drame : un fils malheureux, écrasé par sa mère et qui ne trouve pas dans l’écriture un echapatoire assez fort et qui en meurt, une jeune fille qui rêve de gloire et qui finit actrice courant le contrat….
Cette mise en scène fait d’une comedie dramatique presque une tragedie. Le décor, les costumes (tous noirs certes mais chacun si différent), la musique….tout est très cohérent et ajoute au propos.
Tchekov trahi ? et alors !
konstantine
Bravo pour cette critique sensible fidèle à ce spectacle impressionnant. Quelle exigence. Il y a tant à voir et à entendre, la musique soutenant les acteurs, eux mêmes très engagés et généreux. J’ai été un peu surprise au départ de ne pas retrouver “mon Tchekov”, et puis je me suis laissée embarquer et j’ai eu l’impression de TOUT entendre, toutes les dimensions de la pièce, toutes ses couches, toutes les histoires. Pas seulement celle de la Mouette, mais aussi celle des acteurs, du Palais des papes, du Festival (les voix de Vilar et Philipe dans le vent). Ce rapport aux mort, ce theâtre hanté, ça m’a bouleversée. J’ai vu le spectacle après un deuil récent, et ce spectacle m’a immediatement reliée à cette absence, lui a donné du sens. Car la representation qui commence après la mort de son personnage principal où les morts et les vivants se retrouvent, m’a fait ressentir ce moment de théâtre comme une consolation possible. C’est un cadeau magnifique que fait cette équipe, et nauzyciel, au spectateur. J’ai redecouvert cette pièce, dans une mise en scène d’une grande beauté plastique et avec une très belle atmosphère. La puissance melancolique du spectacle, même ou grâce à ses zones d’ombre, ne m’a plus quitée.