La fin (Koniec) à l’Odéon par Warli le magnifique
Krzysztof Warlikowski, génie turbulent de la scène européenne, présente sa dernière création au théâtre de l’Odéon La Fin (Koniec), jouée déjà à Varsovie puis à Clermont-Ferrand. Depuis sa révélation au Festival d’Avignon en 2001 et le formidable coup de projecteur donné par Gérard Mortier pendant son mandat à l’Opéra de Paris, il n’est plus une saison sans voir sur les plateaux parisiens une des figures les plus fascinantes du théâtre polonais. Plus qu’un metteur en scène, il est l’auteur, le créateur total d’un spectacle hyper personnel basé sur un procédé d’élaboration que l’on connaît bien maintenant, un système de montage, de collage de textes qu’il aime et qui sont déterminants dans sa constitution en tant qu’artiste. Koltès, Kafka, Coetzee accompagnent une longue (3h50) et forte traversée théâtrale et philosophique.
On trouve toujours chez Warlikowski une mythologie du quotidien. Aux pieds d’une haute statue de guerrier conquérant de l’antiquité plantée là, nos antihéros modernes échouent sur le plateau. De manière moins violente que dans Apollonia, on plonge dans l’intimité de ces personnages pour ne jamais atteindre quelque chose de banal mais bien-sûr d’existentiel. Tirés du Procès de Kafka, d’un scénario méconnu de Koltès, Nickel Stuff et d’Elizabeth Costello de Coetzee, ils sont tous au seuil d’une porte qu’ils n’arrivent pas à franchir, ont à vivre une étape importante de leur vie. Alors, ils nous renvoient à nos faiblesses, à nos inquiétudes et nous interrogent sur le sens insoluble de notre parcours terrestre. On parcourt ainsi les thèmes de prédilection du metteur en scène : l’innocence et la culpabilité, la rédemption, la quête d’identité.
L’émotion et la puissance du spectacle passe par une interprétation magistrale des comédiens, tous sublimes, sidérants de beauté et de puissance, par une érotisation des corps, tendus et nerveux, parfois chorégraphiés, par une extrême intelligence du jeu et de l’espace. Warlikowski demeure fidèle à ses pratiques esthétiques et capte la précision et l’intensité du jeu à l’aide de la vidéo dont la présence, moins envahissante que dans des spectacles précédents, s’est affinée. Les visages captés par la caméra et projetés sur le mur du fond en gros plan expriment les hésitations, les fêlures, le malaise… L’ouverture dansée est impressionnante de sensualité sulfureuse, les deux scènes entre une mère et son fils sont bouleversantes, le long procès de Costello est plus ardu à suivre. Warlikowski possède le plateau grâce à une connaissance parfaite de la technique, de la musique aux lumières.
La pièce est un voyage, une errance, qui nous perd mais nous tient, cela n’est pas toujours limpide. Le montage complexe et la narration décousue vont à rebours de l’esprit cartésien bien français. Les interrogations que posent le texte sont laissées en suspens parce qu’il n’y a rien à expliquer de nos échecs, du manque d’ambition, de l’absurdité de la vie à vivre et de l’appréhension de la mort. On s’accroche, éveillé, déstabilisé, en sachant que Warlikowski cherche à toucher des choses en nous et sans rien perdre de cette riche occasion d’aller à la rencontre de nous-mêmes.
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4 thoughts on “La fin (Koniec) à l’Odéon par Warli le magnifique”
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Amelie Blaustein Niddam
La plus belle plume du théâtre réconciliée avec Warlikowski, c’est définitivement le printemps! J’adore!