La Femme qui tua les poissons, ces petits riens qui font tout
(…) Si c’était trois fois rien, trois fois rien entre nous, Evidemment ça ne fait pas beaucoup, Ce sont ces petits riens que j’ai mis bout à bout (…)
Il y a du Gainsbourg dans ce spectacle. La fausse attitude dilettante qu’impose Bruno Bayen à sa comédienne Emmanuelle Lafon provoque une délicieuse distance. Présenté au Théâtre de la Bastille dans le cadre du Festival d’Automne, La Femme qui tua les poissons est un petit bijou drôle et étonnant.
Le metteur en scène Bruno Bayen a rassemblé des textes écrits par Clarice Lispector, star de la littérature brésilienne au XXe siècle. De ses chroniques publiées tous les samedis, de 1967 à 1973, dans le Jornal do Brazil , elle a sorti un recueil : La Découverte du monde. Le ton en est enfantin, elle semble raconter uniquement ces petits riens qui font tout une vie. La voilà dans le bus, prise au piège dans une rencontre avec une Madame Claude locale où meurtrière bouffée par la culpabilité d’avoir justement oublié de nourrir les poissons de son fils. C’est cette dernière histoire qui pour le coup ne fait pas partie des chroniques parues dans le journal qui donne son nom à la pièce.
L’air de ne pas y toucher, Emmanuelle Lafon fait ce qu’elle sait faire de mieux : incarner à la vitesse lumière différentes postures. On l’avait adorée dans son zapping hilarant, passant le temps d’une syllabe de Ségolène Royal à une prof de sport. Elle était alors dirigée par Joris Lacoste pour l’Encyclopédie de la Parole. Sur scène elle est accompagnée à la régie par Vladimir Kudryavtsev qu’elle fait régulièrement sortir de derrière ses consoles. Devant nous, il y a un grand rideau, une table sur laquelle gisent deux œufs crus, un banc décoré comme dans une œuvre de JR, des chaussures à talons, une chaise précieuse et des petits projos, comme au cinéma.
Dans la vraie vie, Clarice Lispector fut modèle pour Chirico, elle épousa aussi un diplomate en Suisse. Elle éleva l’anecdotique au rang d’art glamour. On suit la comédienne dans ses pérégrinations, on la perd parfois, ce n’est pas bien grave. Le spectacle pensé en short cuts rebondit de façon permanente glissant parfois dans l’absurde d’un humour surréaliste. Quand la dame devient poule inconsciente face à sa mission de pondre des œufs, on se tord de rire.
Emmanuelle Lafon est surprenante, belle et touchante. Sa voix nous guide dans ses petites questions éternelles qui se logent dans l’absolu quotidien et qui prennent par instants des tonalités plus graves. La finesse de l’écriture, légère vient toucher juste, sans circonvolutions.
Une grande leçon de vie faite de tous petits riens… joli.
Visuel (c) Huma Rosentalski