“La Dame de la mer” de Henrik Ibsen”, tout Ibsen saisi par Géraldine Martineau au Vieux Colombier

Après avoir mis en scène La Petite Sirène en 2018 au Studio-Théâtre, Géraldine Martineau, devenue depuis pensionnaire de la Troupe, s’intéresse à un autre parcours d’émancipation féminine, entre la Nora d’Une Maison de poupée et La Princesse de Clèves de Madame de La Fayette : La Dame de la mer de Henrik Ibsen.

Une pièce rare et pourtant universelle  

La pandémie nous a fait un sacré cadeau : l’empilement des talents. Ce spectacle fut répété, mais jamais joué à cause des différents confinements. Remplaçant Suliane Brahim, qui joue en ce moment et avec brio dans Oncle Vania de Galin Stoev à l’Odéon, la metteuse en scène Géraldine Martineau  s’offre le role principal et féminin de la pièce. Elle se dédouble. Elle cumule deux lectures en un seul jeu, en deux intelligences. Elle fut une directrice d’acteurs exigeante avec Suliane Brahim, car on demande plus à une autre qu’à soi-même ; comme comédienne au plateau, elle s’enrichit de son travail de metteuse en scène en défendant, mieux que personne, sa propre vision.

Jamais jouée à la Comédie-Française, cette pièce du dramaturge norvégien, précurseur du théâtre moderne, offre un univers à la fois pétri du marasme du quotidien et transcendé par des phénomènes surnaturels. Ellida vit avec son mari, un docteur plus âgé qu’elle, et les deux filles qu’il a eues d’un premier mariage, dans une maison sans horizon dont elle fuit le calme étouffant par des bains de mer journaliers.

L’effroyable, c’est l’attirance qui est au fond de mon âme.

Face à cette famille recomposée, empêchée, corsetée par le carcan installé et cultivé du patriarcat, Géraldine Martineau a imaginé une scénographie organique vaporeuse, tout en miroitements d’où émanent les imaginaires et où se dissolvent à l’air libre les inconscients. En Ellida, elle est envoûtante ; elle restitue chaque geste, chaque  inflexion et ses nuances. Géraldine Martineau a tout compris et nous transmet la chose d’une façon subtile autant que merveilleuse. Elle entrouvre la psyché passionnante de son personnage.  Elle nous place au bord de l’effroyable. A ses côtés, Laurent Stocker est parfait de solidité équivoque. Le texte ainsi intelligemment mis en scène invite à une plongée dans le monde fantasmatique des désirs et des plus profonds dilemmes. A une plongée dans la mécanique même de l’obsession et de ce que, aujourd’hui, nous pourrions appeler  névrose du patriarcat. 

Le bon remède 

Ferenczi, proche disciple de Freud  comparait La Dame de la mer au traitement psychanalytique d’un tableau clinique d’obsessionnel. Il parlait d’un cas de monomanie pour désigner l’obsession qui ravage Ellida, une héroïne à l’attachement démesuré à la mer. Sans le saisir vraiment, le docteur Wangel, inquiet de l’état de santé de sa femme, va l’aider à cheminer vers l’apaisement grâce à une forme de cure par la parole.  Laurent Stocker offre au docteur Wangel la force qui saura le mettre en danger pour sauver sa femme. Le comédien insuffle à son personnage une âme palpable.

L’étranger, le fantôme, ce point de fixation d’Ellida qu’elle pensait mort réapparaît. Ellida demande à son mari de la sauver de cette emprise.  Le docteur cherchera à faire barrage aux désirs d’Ellida, mais en vain. Lorsqu’il lui donnera l’autorisation d’échapper au joug du mariage, Ellida comprendra l’enjeu de son obsession. Sa vie commencera enfin .

La Dame de la mer est une pièce à ne pas rater, pour Ibsen, pour Géraldine Martineau et pour ce qu’elle nous enseigne de nous-mêmes.

LA DAME DE LA MER

Henrik Ibsen. Mise en scène de Géraldine Martineau. Paris, Vieux-Colombier, jusqu’au 12 mars. 1 h 55.