Théâtre

La Comédie-Française se raconte au Théâtre éphémère

05 June 2012 | PAR Christophe Candoni

Voici une des dernières surprises de la saison qui n’est pas encore tout à fait achevée à la Comédie-Française. Il s’agit d’une belle proposition de Muriel Mayette qui monte “Une histoire de la Comédie-Française” avec passion, humour et amour pour la maison et la troupe qu’elle dirige et connait bien. Une histoire, c’est forcément subjectif, pluriel et non exhaustif ; celle-ci est montée en toute simplicité, jamais de manière égocentrique ou muséale mais bel et bien conçue comme un bonheur de théâtre et un rendez-vous heureux avec cinq acteurs virtuoses.

Muriel Mayette  met donc en espace un texte écrit pour l’occasion par le journaliste Christophe Barbier qui est par ailleurs membre du comité de lecture de la maison. Sa grande qualité est de faire preuve d’une connaissance détaillée sans tomber dans un didactisme rébarbatif ou pédant. Au contraire, le ton est vif et joyeux. Il retrace, avec un désir de raconter que l’on sent jouissif, les grandes lignes de presque quatre siècles d’histoire théâtrale qui se mêle à la grande Histoire : les siècles naissent et s’achèvent sur un rythme enlevé, chacun est pris en charge par un comédien de la troupe qui demeure seul en scène. Un peu comme dans le “Mystère Bouffe” de Dario Fo qu’avait mis en scène Muriel Mayette, ils jouent tous les rôles peu importe le sexe ou l’âge et livrent là de sacrés numéros d’acteurs.

La pièce s’ouvre sur la mort de Molière, figure tutélaire de la maison qu’il n’a pourtant pas connue. C’est Bruno Raffaelli qui l’endosse sobrement. « Ne sont morts que ceux qu’on n’écoute plus » dit Molière qui revit sous ses traits et éternellement. Le XVIIIe est campé par Loïc Corbery. L’insolence et l’esprit de révolte du siècle révolutionnaire sied à merveille à l’interprète bouillonnant qu’il est. Avec fantaisie, il joue aussi bien la Clairon croqueuse d’hommes faisant le catalogue de ses proies, que le vieux Voltaire, pauvre philosophe qui, cumulant les succès théâtraux, croyait en la suprématie de son œuvre dramatique, la postérité ne lui donnera pas raison. Seule femme du spectacle, Elza Lepoivre, éclatante, fait revivre les grandes figures d’actrices du XIXe de Mesdemoiselles George et Mars à la Sarah Bernhardt en passant par Rachel. Elles ne sont pas des exemples de modestie. Décidées, convaincues, ambitieuses, caractérielles, brûlantes d’aventures et de singularité, elles voient haut, courent à la gloire, l’arrachent mais s’y usent fatalement pour rester dans la légende des plus grandes tragédiennes. Le benjamin de la troupe, l’excellent Pierre Niney, prête sa jeunesse énergique et ses talents de mime à un siècle peu flatteur pour l’institution que le texte relate avec malignité et humour sans rien édulcorer, pas même la position confuse de bon nombre de ses artistes pendant la seconde guerre mondiale. Comme un symbole de mauvais augure, le XXe commence par une catastrophe : la Comédie flambe sous un incendie. Puis, devenue ostracisée et embourgeoisée, elle a raté les dramaturges majeurs du siècle que sont Ionesco et Beckett, tout autant que les grandes aventures théâtrales de son temps exceptée la création du “Soulier de Satin”. L’ambition de la décentralisation, Copeaux, Vilar, la création du festival d’Avignon, Mnouchkine à la Cartoucherie, Chéreau aux Amandiers-Nanterre et les autres, tout cela se déroulait bien loin de Richelieu. Le spectacle se termine sur un délire de science fiction étonnant, particulièrement inspiré mais tout de même appuyé, qui imagine la Comédie-Française transplantée sur la planète Mars. Elliot Jenicot fait se tordre de rire la salle en revisitant une Phèdre pour le moins futuriste.

Le public est séduit et réceptif à cette histoire de la Comédie-Française qui est un joyeux moment de théâtre. Comme lui, on s’est beaucoup amusé. On a appris aussi, rit, été ému. Une réussite !

Festival Midi à Hyères
7ème Edition du Festival Bains Numériques, Enghien-les-Bains
Christophe Candoni
Christophe est né le 10 mai 1986. Lors de ses études de lettres modernes pendant cinq ans à l’Université d’Amiens, il a validé deux mémoires sur le théâtre de Bernard-Marie Koltès et de Paul Claudel. Actuellement, Christophe Candoni s'apprête à présenter un nouveau master dans les études théâtrales à la Sorbonne Nouvelle (Paris III). Spectateur enthousiaste, curieux et critique, il s’intéresse particulièrement à la mise en scène contemporaine européenne (Warlikowski, Ostermeier…), au théâtre classique et contemporain, au jeu de l’acteur. Il a fait de la musique (pratique le violon) et du théâtre amateur. Ses goûts le portent vers la littérature, l’opéra, et l’Italie.

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