La chanson [reboot], le thriller suédois de Tiphaine Raffier
Tiphaine Raffier, formée notamment au Théâtre du Nord, met en scène depuis plus de dix ans maintenant. C’est assez pour qu’elle pose un regard dans le rétro et remonte “sa” Chanson, un huis clos pop et acide sur l’amitié, ABBA et les villes nouvelles.
Sérieusement qui d’autre aurait pu nous faire entendre “Dancing Queen” comme une chanson tragique ? Eh bien elle ! Peut-être parce que son théâtre, même si on y rit beaucoup, est tragique. C’est du vrai théâtre avec une direction de comédiennes parfaite et du suspense à en revendre.
Ça commence par une affirmation en voix off : “C’est moi qui raconterai l’histoire”. Ce “moi” du récit est Pauline (Clémentine Billy). Elle entre et nous mitraille de ses mots. Il y a une urgence à dire, à raconter. Le décor est un gymnase quasi vide. Un espalier, un panier de basket, des chaises dans un coin et quelques tapis de sol. Tiphaine Raffier ne surcharge pas.
Son théâtre est musique. En ce moment, l’Odéon présente sa toute dernière pièce, Némésis, qui est une sombre comédie musicale. Un show aux allures d’un Broadway gris qui parle d’une épidémie. Il est passionnant de voir le début et le maintenant d’une artiste. Le fil, c’est la musique. (Pour Némésis, elle travaille avec l’orchestre contemporain Miroirs Étendus).
Pour son reboot de sa Chanson, elle a changé la distribution et elle a ajouté des éléments vidéos. Entre les deux, entre la création en 2011 et aujourd’hui, La chanson est aussi devenue un film éponyme, présenté en 2018 à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes.
C’est une histoire qui ne commence pas mal. Celle de la vie de trois amies dans cette ville nouvelle, Val d’Europe, dont elle voit au loin le vrai-faux château de la Belle au bois dormant du Parc de Disneyland. Au début, on pense que cette pièce va nous parler de territoires décentralisés, construits autour de la circulation des voitures. Il n’en est rien.
La chanson nous parle bien de routes, mais celles-ci sont personnelles. Que se passe-t-il dans un groupe quand l’un des membres change de voie ? C’est le chaos.
On pense aussi que La chanson est une comédie. Le contexte est super drôle : Barbara (Candice bouchet), Jessica (Jeanne Bonenfant) et Pauline répètent un spectacle de sosies d’ABBA, chorégraphies comprises. Il nous faudra du temps pour lire vraiment les paroles de SOS.
Où sont ces jours joyeux, ils semblent si durs à trouver
J’ai essayé de t’atteindre, mais tu as fermé ton esprit
Qu’est-il arrivé à notre amour ?
Si seulement je comprenais
C’était si beau, c’était si bien
Avec un art du suspense et du récit qui ne tient qu’à elle, Tiphaine Raffier nous embarque dans ce qui va ressembler à un fait divers, une histoire qui aurait fait deux lignes dans le journal local. Les comédiennes sont justes dans leur jeu, dans leurs chants et dans les travers psychologiques qui les emparent.
C’est l’histoire de sosies dans une ville en carton pâte qui imite des façades italiennes. Dans ce groupe d’amies, quand le vrai surgit, quand il s’agit de ne plus se mentir à soi-même, l’insupportable devient urgence.
Visuel : © Simon Gosselin