Théâtre

L’épopée de Dimitris Dimitriadis à l’Odéon. Premier volet : La stérilité de l’apocalypse

16 November 2009 | PAR Audrey Saoli

Cette année l’Odéon a décidé de mettre à l’honneur le dramaturge grec Dimitris Dimitriadis. Le premier volet du cycle qui lui est consacré s’intitule « je meurs comme un pays ».


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En entrant dans les ateliers Berthier une longue file d’attente s’amasse déjà devant le théâtre. Notre instinct de spectateur nous conduit donc derrière cette longue file mais les organisateurs viennent nous chercher pour nous dire que se sont des figurants tout en restant très mystérieux quant à leur place ici. Nous les doublons donc pour nous installer sur les gradins pendant qu’une comédienne perce le silence dans un grec non traduit. Sa complainte est désespérée. Nous prenons donc place dans un climat de fin du monde résignée. Tous ces comédiens rangés sont impassibles face à cette femme qui hurle sa douleur sans que personne ne puisse la comprendre. Le spectacle commence alors et là on comprend qu’il n’y aura pas de personnage, que le seul vrai personnage de cette pièce est le texte.

La fin du monde est commandée « cette année là, aucune femme ne conçut d’enfant… ». C’est donc de stérilité dont il sera question. Il est étonnant que l’on nous parle de stérilité devant autant de comédiens. Chacun portant son impossibilité de changer le monde. La résignation est révoltante. Les comédiens un par un sortent de ce rang mortuaire où la photocopieuse en fond de scène semble manger la différence et l’individualité. Le micro est alors pris comme une arme. Chaque individu vient projeter sa résistance, son besoin de parler et de sauver un monde périmé.

Ce texte de Dimitris Dimitriadis semble une bonne introduction à son œuvre. Il y a là l’essentiel de son écriture. Son besoin salvateur. Non, le dramaturge ne nous parle pas directement de son expérience de la dictature, de son passage dans l’armée, de la destruction mentale qui en résulte. Bien sûre, la pièce n’est pas totalement indépendante de cette blessure mais il a volontairement joué de l’abstraction de l’écriture pour ne pas écrire « une pièce engagée ».

Le texte est très puissant. Les mots y trouvent leur fonction la plus forte. Oui, on peut changer beaucoup de chose avec des mots poussés à l’unisson. Le metteur en scène Michael Marmarinos a su rendre ce texte palpable. Il a cherché tous les textes ayant une fonction unificatrice. On passe donc des slogans manifestant, aux chansons faisant partie d’un répertoire universel. Il y a une véritable jouissance à voir cette file d’attente inerte poussant des cris à l’unisson. Enfin !
Mais le monde ne peut plus être sauvé, l’armée l’a tué. Il est depuis longtemps périmé. Il y a presque un soulagement universel de le voir toucher à son apocalypse.

Il est intéressant de savoir que la pièce parue en 1978, n’est pas à l’origine un texte théâtral. Le texte d’une trentaine de pages est conçu comme un récitatif. Le dramaturge et metteur en scène Michael Marmarinos a donc pu décider avec une liberté totale comment théâtraliser ce texte. Cette forme me semble très juste. Ce n’est pas une personne particulière qui dit le texte mais c’est le monde entier. Il est donc normal que les langues et les sous titrages se multiplient puisque c’est le monde qui parle. Il meurt porté par l’agonie de ses enfants. Cette écriture est puissante parce qu’elle semble tout droit sortie de nos propres angoisses. Nombreux sont les spectateurs qui à la fin de la pièce ne peuvent pas immédiatement se lever de leur siège. Chacun semble observer ce monde qui vient de mourir sous ses yeux. Ce qui s’est joué devant nous, c’est le monde. Nous avons aperçu un reflet de nous mêmes. Le fait que les comédiens soient quasiment aussi nombreux que les spectateurs y est pour quelque chose.
Voilà donc un premier volet de l’épopée de Dimitriadis qui nous promet encore de grandes émotions. Expérience à poursuivre…

Les pièces de Dimitris Dimitriadis à venir : Le vertige des animaux avant l’abattage, aux ateliers Berthier du 27 janvier 2010 au 20 février 2010, La ronde du carré au théâtre de l’Odéon du 14 mai au 2010 au 12 juin 2010. Odéon : Place de l’Odéon, Paris 6e, m° Odéon, Atelier Berthier : angle de la rue André Suarès et du Bd Berthier – 17e , m° Porte de Clichy. TP : 32 euros, TR : 16 euros. La pièce « Je meurs comme un pays » publication : les Solitaire Intempestifs, 7 euros.

CD / Norah Jones : The Fall
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Audrey Saoli

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