Théâtre
Kabaret Warszawski, l’épatant cabaret varsovien de Warlikowski

Kabaret Warszawski, l’épatant cabaret varsovien de Warlikowski

27 July 2013 | PAR Christophe Candoni

kabaret Fot. Magda Hueckel

A la FabricA, Krzysztof Warlikowski signe un cabaret rock et destroy. Ce spectacle osé et virtuose est une des  grandes émotions de cette 67e édition du Festival d’Avignon.

L’artiste polonais y projette ses cauchemars, ses obsessions qui sont aussi les nôtres.  A la lumière de la République de Weimar, il observe et éclaire, d’une manière à la fois clinique et ultrasensible, la décadence du monde contemporain : la brutale remontée en puissance des extrémismes (racisme, homophobie…) associée à une bien-pensance moralisatrice qui limite les libertés, exclue et empêche les individus de s’aimer. Comme des mondes en miroirs hantés par les mêmes démons, le Berlin de 1936, le New-York post-11 septembre, la Pologne actuelle et l’Europe entière déboussolée se télescopent et donnent à Warlikowski l’ambitieuse matière d’un spectacle magistralement conçu et mis en scène comme une revue de music-hall apocalyptique mais pleine de vie.

La pièce commence donc en Allemagne par un remake du célèbre Cabaret de Bob Fosse monté à partir du livre qui l’a inspiré (Adieu à Berlin de Christopher Isherwood). L’écrivain homosexuel, joué par Andrej Chyra tourmenté, est l’ami-amant de Sally, une actrice-chanteuse enfantine et sexy sublimement interprétée par Magdalena Cielecka. La revue pop et colorée débute en chansons et en danses. Mais le pire menace et pénètre dans la frénésie quasi-autarcique des plumes, strass et paillettes. Le présentateur de la soirée prend l’allure du Führer “pantinisé” le teint blafard et en bas noirs. La reine des planches Jacqueline Bonbon fait un adieu déchirant à la scène puis à la vie après avoir jeté son jeune amant parce qu’il est juif. L’antisémitisme rôde aux détours de conversations des plus anodines et on voit bien où veut nous emmener Warlikowski, qui a réalisé une bouleversante mise en scène de Parsifal à la lumière du film Allemagne année zéro de Rosselini comme métaphore d’un monde à reconstruire, lorsqu’il présente une vieille femme bourgeoise en robe de soirée noire avec épais col de fourrure, récupérer idéologiquement la musique de Wagner et prôner l’éradication d’une race dite inférieure.

Dans la seconde partie, les turbulences des temps présents sont croqués à travers une adaptation du sulfureux Shortbus, le film de John Cameron Mitchell dont on suit les personnages principaux : Jamie et James, deux gays ouverts à des aventures sexuelles multiples pour sauver leur couple au bord de la rupture, Sophia, la sexologue qui n’a jamais connu l’orgasme et Justin, transsexuel à la tête d’une boîte underground qui accueille la petite communauté débridée de jeunes marginaux rejetés. Les scènes érotiques décrivant les fantasmes inassouvis, le refoulement et l’insatisfaction sexuels sont traités dans une sublime crudité qui dépasse de très loin la suggestion  sans pour autant tomber dans la vulgarité.

Au cours d’un spectaculaire cérémonial, chacun des personnages, dans un état d’euphorie à la limite de la destruction, prend place dans un cercueil de verre recouvert d’une pluie intarissable de paillettes dorées. L’inconséquence et le dérisoire se jouent avec insolence de la perdition et de la finitude alors que le monde cessera peut-être d’exister d’un instant à l’autre. L’un des comédiens s’avance, s’adresse à la salle et demande “les gens d’ici savent-ils aimer ?” La question est posée, directe, intransigeante, dérangeante, magnifique. Elle donne une idée du monde dépeint par Warlikowski comme au bord du précipice affectif et politique.

Le travail de Warlikowski repose toujours sur une ligne dramaturgique forte prenant la forme d’un montage de sources multiples dont l’alliance parfois inattendue fait merveilleusement sens. En créateur total, auteur textuel et de plateau aux ressources infinies, il part franchement cette fois du côté de la performance au cours d’une longue séquence sur l’effondrement des tours du World Trade Center accompagnée par de longues et hurlantes plages musicales tirées de l’album Kid A de Radiohead. La maîtrise du plateau est exemplaire, c’est visuellement époustouflant et les acteurs y sont d’une sidérante beauté.

Warlikowski  propose un regard toujours neuf et profond. Il réinvente tout, bouscule, étonne, déroute, exténue, désinhibe. Il fait étonnamment rire puis glace immédiatement. Il tape toujours juste et fort là où cela fait mal et fait du bien en même temps. C’est la grande force de son théâtre qui secoue et bouleverse infailliblement.

Photo Magda Hueckel

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