Jean Vilar, le rêve du théâtre pour tous
Sandra Paugam signe un documentaire passionnant sur le fondateur du plus prestigieux festival de théâtre du monde. Une plongée dans la passion des textes, des artistes et des publics. Revigorant.
Le théâtre comme mode de vie
De facture assez classique, le documentaire de Sandra Paugam n’en est pas moins riche tant elle interroge un aspect assez inédit du mythe vilarien : le public. Bien évidemment, on retrouve ici les images entrées dans la légende grâce à la présence d’Agnès Varda : la force du regard de Maria Casarès, le sourire inimitable de Gérard Philipe, la candeur de Jeanne Moreau, la voix stupéfiante de Sylvia Monfort. Bien sûr, l’on retrouve aussi les décors et les costumes au Festival d’Avignon, au théâtre de Suresnes, au Palais de Chaillot et quelques interview célèbres du chef de troupe, du directeur, de l’acteur, c’est selon. Mais l’intérêt principal du travail précis de Sandra Paugam réside dans des hommages discrets à toutes celles et tous ceux qui ont fait l’incomparable réussite du TNP et d’Avignon. On pense ici à la voix de Jeanne Laurent racontant comment elle a persuadé Vilar de dire “oui” à l’aventure de Chaillot, mais aussi au bel hommage visuel rendu en utilisant la typographie, reconnaissable entre mille, de Marcel Jacno pour le Théâtre national populaire ou encore à Sonia Debeauvais qui pensa la communication vers les publics. Et c’est là le point central du documentaire : comment cet homme n’a eu de cesse de penser le public et de penser au public.
Le théâtre comme héritage
Le documentaire n’est pas entièrement historique. Et c’est tant mieux. Il présente aussi des artistes qui, aujourd’hui, dans leur pratique de directeur de lieux, de structures ou de troupes viennent interroger la survivance de la pensée de Vilar. On retrouve bien sûr, Olivier Py, l’actuel directeur du Festival d’Avignon. Mais aussi, et c’est tant mieux Éric Ruf (administrateur général de la Comédie-Française), Robin Renucci (les Tréteaux de France), qui parlent avec précision, humilité et exigence de leur rapport au public et de l’importance en ces temps si troublés de la communauté théâtrale. Mais c’est certainement auprès de deux témoignages que l’héritage de Vilar semble prendre chair. D’une part avec le collectif du Nouveau Théâtre Populaire (programmé cette année au Festival d’Avignon). D’autre part, avec un magnifique hommage que Jean Bellorini a rendu à Vilar avec un groupe de très jeunes comédiens et comédiennes (encore au collège et au lycée). Ils et elles portent la parole du maître, lorsque au-dessus d’eux sont suspendus les costumes les plus célèbres de la troupe du TNP. Ce passage de flambeau sonne comme une promesse celle d’un passage de flambeau entre générations unies par son amour du théâtre.
Une hagiographie méritée
Certes, le documentaire n’entache en rien l’image et de l’homme et de l’artiste qu’était Jean Vilar. À ce titre, le texte même dit par Léonie Simaga est une lettre d’amour, de reconnaissance, d’admiration. Ce “vous” adressé à cette figure tutélaire du théâtre d’art peut paraître, de prime abord, trop appuyé. Et puis, au fil des images, des témoignages et des documents, on se prend à se rappeler ce que chaque personne assise dans un théâtre public aujourd’hui lui doit : les abonnements, les bars, les programmes gratuits, la gratuité des vestiaires, les salaires fixes des ouvreurs et ouvreuses et l’abandon du pourboire, les tarifs pour les associations, syndicats et comités d’entreprise (et on regrette qu’il n’y ait plus de bals à la fin des représentations). Alors, oui, cela vaut bien un “vous” de majesté. La sortie de ce documentaire vient résonner (et nous faire raisonner) avec la nomination de Tiago Rodrigues à la tête du Festival d’Avignon. Et l’on se prend à rêver qu’il en soit un directeur tout aussi conscient des enjeux esthétiques, poétiques et politiques de cette caisse de résonance.
Écrit et réalisé par Sandra Paugam
Le film sera diffusé sur France 5 le 23 juillet 2021.
Crédit image : Jean Vilar au Verger © Jean Rouvet/Association Jean Vilar