Théâtre
Ivo Van Hove : “Louis Couperus est peut-être l’auteur le plus lu en Hollande”

Ivo Van Hove : “Louis Couperus est peut-être l’auteur le plus lu en Hollande”

04 March 2019 | PAR Yaël Hirsch

Dans le cadre du Festival 100% qui se tient à la Villette du 20 mars au 6 avril, Ivo van Hove et l’Internationaal Theater Amsterdam présenteront The Hidden Force, également en partenariat avec le Théâtre de la Ville hors les murs. L’immense metteur en scène a accepté de nous parler de sa dernière création qu’il donnera du 4 au 11 avril 2019 dans la Grande Halle

Vous êtes le plus français des metteurs en scène néerlandais ! Et quel honneur, encore, de vous accueillir à Paris ! Quelle est la différence de travail pour vous entre les comédiens français et néerlandais ?

Quand j’ai commencé, dès le début, c’était comme à la maison. C’était une troupe bien sûr, comme à Amsterdam mais l’énergie, les convictions des acteurs français font qu’ils étaient ouverts à des surprises, pour un voyage inconnu dans un paysage inconnu. Alors, pour moi, travailler à l’Odéon avec Charles Berling et après à la Comédie Française, c’était la même joie que travailler avec mes propres acteurs à Amsterdam.

Et la langue joue un rôle ? Vous travaillez en français, en anglais…

Bien sûr. Je travaille à Londres, à New-York, j’ai l’habitude de travailler dans des langages diverses. Pour moi ce n’est pas le point définitif. Pour sur, quand je travaille en français ou que je fais une tragédie grecque, évidement que le langage joue, mais au fond c’est la même chose. Travailler dans la langue néerlandaise ou française … par exemple, je n’ai jamais fait de Shakespeare à Londres, et j’ai une explication sur ça. Ils ont une manière de faire trop chantée pour moi, le texte n’est pas dit. Donc jusqu’à maintenant, j’ai toujours monter Shakespeare à Amsterdam.

Quand vous parlez de tragédie grecque, c’était votre Antigone ?

Oui, Antigone c’était un mélange. Juliette et les acteurs britanniques parlaient anglais. Ce n’était pas en français. c’était quelque chose de tout à fait exceptionnel.

 J’ai beaucoup aimé La voix humaine, et j’ai hâte de voir The Hidden Force. J’aimerai que vous me parliez un peu du sujet, ce que ça dit sur l’âme européenne et ces cotés sombres. Je sais aussi que Louis Couperus est très connu en Hollande…

Louis Couperus est peut-être l’auteur le plus lu en Hollande. C’est un auteur qui a écrit ce livre à la fin du XIXème siècle qui n’a été publié qu’au XXème siècle. Il a aussi été un grand voyageur. Il a voyagé partout dans le monde et il connaissait beaucoup de monde.. c’était un cosmopolite, on peut dire. Ce n’était pas un auteur focalisé sur la Hollande, il était dans un contexte mondial. Il a beaucoup écrit et avec des thèmes qui résonnent encore très fortement. C’est, je pense, l’aspect visionnaire de cet écrivain. Il est possiblement inconnu dans beaucoup de pays, même si il a été traduit dans beaucoup de langues, mais quand on relit ses livres… quand on relit The Hidden Force, par exemple, on comprend que cela parle de la guerre des cultures et de l’impossibilité de vivre ensemble. C’est quelque chose de très parlant dans toutes nos sociétés aujourd’hui, je pense. En France, en Amérique … les cultures forment des camps. Dans The Hidden Force, c’est le camp des Hollandais, qui se pose en supérieur, et celui des Indonésiens, qui se sent insulté par l’attitude des premiers. C’est la force que l’on ne voit pas, que l’on entend pas mais qui est là. Elle est dans cette communauté.

Vous pensez que cela résonne beaucoup en France ? Parce qu’on a le même genre d’histoire coloniale et ce même sentiment d’avoir « apporter de bonnes choses », ce sentiment de supériorité.

 Oui. Je crois que c’est d’ailleurs très important de reconnaître ça. j’étais choqué d’apprendre ça, mais la Hollande, par exemple, a accepté l’indépendance de l’Indonésie seulement en 2005. Pour moi, c’était incroyable que ça ait duré autant de temps et encore aujourd’hui, la Hollande pense qu’elle n’avait que de bonnes intentions de faire ça. Alors que ce n’est clairement pas le cas. Alors, je crois que l’histoire coloniale, en France, en Belgique et en Hollande aussi, est très importante revisiter. Pour se regarder nous même dans les yeux aujourd’hui. Couperus fait ça. Mais malgré tout, il n’est pas nécessaire de connaitre l’histoire coloniale de la Hollande pour comprendre. On a joué en Espagne, en Russie à Moscou… c’est une histoire coloniale qui est générale et qui se comprend partout. C’est un spectacle qui parle aussi de quelque chose de très humain, puisque le personnage central est une femme néerlandaise qui a une liaison avec un jeune homme indonésien. C’est une histoire qui va au-delà d’un jugement, c’est plus que ça. Couperus est un humaniste, il comprend la complexité des hommes et des femmes tels qu’ils soient, il comprend la diversité des identités. Ce n’est pas seulement une histoire sur le colonialisme, c’est une ouverture sur l’humanité.

Est-ce qu’il y a un lien entre La voix Humaine et The Hidden force ? Quelque chose de l’ordre de l’inconscient ou de face cachée et sombre de l’humain ?
Oui ça oui, mais c’est partout dans mon oeuvre. Et puis c’est la même actrice qui joue dans les deux pièces. Mais ces spectacles sont différents. La voix Humaine est très basée sur le texte de Cocteau et là c’est une histoire sur laquelle j’ai voulu mettre beaucoup de visuel dans la mise en scène, pour être dans l’atmosphère de l’Indonésie. La musique est alors très importante, il y a de la danse et la présence de la nature qui est très importante. Il y a un véritable orage sur scène par exemple.

Avec de l’eau sur la scène ?

 Oui !

Et pourquoi cette eau ?

On pense toujours qu’il y a en Indonésie seulement du soleil, mais il y a la mousson et le spectacle se joue pendant ce moment.

Il y a aussi de la vidéo dans le spectacle ?

Oui mais un petit peu. Les danses, la lumière, l’espace et la musique seront les éléments les plus importants dans ce cas là. Ainsi que les costumes. La vidéo est là seulement pour éclairer les faits historiques sur le colonialisme. Je l’utilise comme des peintures de guerre et comme références aux images historiques. Ce n’est pas vraiment comme j’ai l’habitude de faire.

 Et la musique, ce sera quoi ?

J’ai fait trois spectacles sur l’oeuvre de Couperus, et à chaque fois j’ai travaillé avec Harry de Wit, qui est musicien qui joue beaucoup avec le piano et les sonorités orientales.

Je me demandais si par rapport à Conrad, si Louis Couperus était le même genre d’enquêteur ?

Je dirais que c’est moins sombre, même s’il y a la même effervescence existentielle. Il y a cette recherche de la noirceur chez les personnes, mais Conrad ne se passe pas dans la jungle, mais dans un environnement plus luxueux.

 

Du 4 au 11 avril dans le cadre du Festival 100%, dans la Grande Halle de la Villette. Infos et réservations ici.

Visuel : Jan Versweyveld

 

Entretien par Yaël Hirsch, retranscription par Lou Baudillon.

Infos pratiques

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Alexander Mora-Mir

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