Théâtre
[Interview] Olivier Lacut – Ceux de 14

[Interview] Olivier Lacut – Ceux de 14

19 January 2015 | PAR Matthias Turcaud

Après la représentation de jeudi, le comédien Olivier Lacut a bien voulu parler avec nous de sa lecture-spectacle Ceux de 14, de la genèse du projet, de son coup de cœur pour le texte de Maurice Genevoix, de ses choix artistiques – entre autres. Qu’il en soit ici chaleureusement remercié.

Comment t’es venue l’envie de lire l’intégralité de Ceux de 14 ?                                                

Eh bien l’idée est partie d’une rencontre avec Sylvie Genevoix en 2011. Dans le cadre des commémorations du 11 novembre il y avait une exposition itinérante autour de Maurice Genevoix dans la ville de Courbevoie où ma compagnie est en résidence, et donc j’ai proposé aux élus Jean Spiri et Yves Jean de faire une lecture de différents passages de toute l’oeuvre – c’était vraiment le tout début de cette aventure. Je ne connaissais pas Sylvie Genevoix, et je ne savais pas qu’elle serait là le soir de la lecture ; elle était présente avec Bernard Maris. On a discuté ensemble, on s’est revu très peu de temps après en se disant que dans le cadre du centenaire qui allait venir – donc trois ans après – qu’on aurait l’envie de … alors on ne savait pas … est-ce que c’était celà monter un spectacle ? Je me suis dit que pour la première année – 2014 – 2015 – ce serait intéressant de suivre ce feuilleton théâtral, c’est-à-dire jour après jour, sensiblement, une semaine après, et ce lieu – la “Bohème” – le permet, de lire différents extraits. J’ai eu l’accord de Sylvie Genevoix, et l’aventure est partie, elle a commencé le 11 septembre – date symbolique. On – je dis “on” à chaque fois, parce que j’inclue ma collaboratrice artistique, même si je suis seul sur le plateau, Delphine Darvenne – a fait la première partie – 11 septembre – 18 décembre 2014 – avec les trois premiers recueils. Et là de janvier 2015 à avril 2015, ce seront Les Éparges – alors je ne lis pas en intégralité, je lis des extraits, mais en respectant la chronologie. La seule permission que je me suis accordée c’est de garder le premier passage où il est mobilisé. Donc, à chaque fois, à toutes les lectures, il y a ce passage-là où il parle de son sandwich qui est écrasé. Et ensuite j’enchaîne avec les dates.

Qu’est-ce qui te plaît spécifiquement dans cette écriture ?                                                           Ce qui est extraordinaire, c’est que tout est bien écrit, souvent je dis que c’est un texte qui “sent”. Je n’ai pas été soldat, je n’ai pas été dans les tranchées, mais en lisant Genevoix, c’est une mine – une mine, je ne sais pas si le mot est bien trouvé -, mais en tout cas une perle de savoir et d’images. Souvent quand il y a des scolaires qui viennent – parce que je veux aussi qu’il y ait un public scolaire qui soit présent – et je leur demande “qu’est-ce que vous avez ressenti”, et souvent il y a des images qui viennent très, très vite. Au-delà d’une scénographie que j’ai voulue minimaliste avec des coquelicots – parce que c’était une fleur qui poussait dans les tranchées – ; une servante sur le plateau qui me rappelle aussi la présence des morts et des vivants – la servante c’est un élément théâtral très fort, la lumière ne s’arrête jamais au théâtre ; et puis une vraie gourde d’époque – parce qu’il parle souvent de “boire” – on pouvait tenir longtemps sans manger, mais boire c’était primordial. Et voilà, quelques éléments de lumière, et puis du son, une bande-son qui va d’ailleurs aussi changer pour la deuxième période, c’est-à-dire que je garde le même format, la voix de Maurice Genevoix mais sur d’autres parties, et puis d’autres sons – chansons d’époque. Pour moi, il y a 1914 et il y a 1915 : deux périodes. Donc ce qui me plaît – pour revenir à la question – plus précisément dans le texte, c’est qu’on aurait envie de lire l’intégralité tous les soirs au théâtre (sourire). La réalité économique est une autre réalité. En tout cas, c’est un “feuilleton théâtral”, et je ne désespère pas que l’aventure continue en 2016, en 2017, jusqu’en 2018, et peut-être sous différentes formes. La première forme ce sont des lectures, mais j’ai des idées quand même sur une mise en scène où le son aurait beaucoup d’importance – le son et le mouvement.

T’es-tu approprié certains passages au point de les connaître par coeur ?                                 Certains passages, oui – le passage de la mobilisation, je le connais pratiquement -, puis il y a certains moments, certains mots que je n’ai pas besoin de lire. C’est pour ça que c’est un “feuilleton – théâtral – lecture – spectacle”. On entend “spectacle” quand il n’y a pas le texte sur le plateau, mais c’est mon meilleur allié, c’est mon partenaire. C’est pratiquement un duo, en fait. Genevoix est avec moi. Le texte parle à la première personne, donc il dit “je”. Est-ce que je suis Genevoix, est-ce que je suis le narrateur, est-ce que je suis Olivier Lacut qui lit le texte … Ca, il y a plusieurs pistes, c’est souvent aussi une question que je pose au spectateur. Et il y a exactement ce que je recherche. Au début, ils se demandent qui parle – alors il y a d’autres personnages, il y a Porchon, il y a ses camarades du 106 -. Ce qui me plaît aussi, c’est qu’il y ait la voix du narrateur, et qu’on peut s’amuser … Il rencontre des femmes, des personnes âgées, donc on peut aussi imaginer toutes les rencontres de Genevoix. Il n’était pas tout le temps dans les tranchées, il y avait le cantonnement justement, de temps en temps ils allaient dans des villes, il y avait une vie. Il y avait la vie des tranchées, mais aussi la vie des soldats à la ville.

T’es-tu volontairement freiné dans les idées de mise en scène que tu pouvais avoir – tu l’as dit avant, c’est assez minimaliste ? Est-ce que tu as voulu justement te concentrer sur le texte ?                                                                                                                                                         Un peu. Enfin, moi je ne me freine jamais (rires), enfin c’est-à-dire j’essaye d’être en même temps dans l’hommage – car c’est un hommage à Genevoix -, et en même temps de me dire que si j’ai envie d’avoir des coquelicots sur le plateau – et qui ne sont pas des roses, comme le croient certains -, je le fais. Après, il y a aussi une scénographie par rapport à ce lieu que je connais ; car on a joué “Les copains d’abord” (nldr : spectacle en deux volets autour des chansons de Brassens avec Ludo Cabosse et Erikel) dans cette salle, on l’a joué en haut dans la salle “Vicky Messica”, et je ne souhaitais pas être dans ce qu’on appelle “la grande salle”, parce qu’ici il y a des murs, des murs qui sont chargés et il y a des mots. Les spectateurs descendent dans la salle, avec déjà l’idée qu’il y a des coquelicots dans les marches, et puis ensuite il y a des journaux, et puis ensuite il y a des bougies, et il y a cette intimité-là avec ce mur. Alors, est-ce que je suis dans ma tranchée ? Je ne sais pas. Peut-être, mais en tout cas ce lieu me parle. C’est intime, c’est un rapport intime avec les spectateurs, ça je le souhaitais. Donc j’ai vraiment pensé dans un premier temps pour ces lectures à la scénographie par rapport au lieu, et après ça peut prendre tout à fait une autre forme.

Et par rapport à ça, était-ce important de ne pas devoir trop porter la voix, d’avoir une voix assez feutrée ?                                                                                                                                      Oui, exactement, je voulais que la voix soit un peu comme on se parle là, avec une vingtaine – une trentaine de personnes, c’est intime. Alors moi j’ai une double-casquette, parce que j’enseigne aussi le théâtre, mais c’est pratiquement comme si j’étais dans une salle – pas de classe -, mais un rapport avec un groupe identifié d’une vingtaine – trentaine de personnes, et chaque soir ce sera différent. Alors il y a même des spectateurs qui reviennent aussi, et moi ma seule peur par rapport à cette mise en scène, c’est de me dire “est-ce que quelqu’un qui vient à l’épisode 7, il va comprendre s’il n’a pas vu les six premiers”. Là on est à la dix-septième lecture – c’était une synthèse ce soir, la semaine prochaine ça recommence -, mais est-ce que les spectateurs qui viennent dans trois ou quatre semaines, ils comprendront ? Oui, parce qu’en fait, sensiblement, comme c’est un journal de bord, enfin journal de guerre, on retrouve les mêmes thématiques : la nature chez Genevoix – qui est très présente, l’ennui dans les tranchées – qu’est-ce qu’on fait ? -, la bataille – mais ce soir par exemple il n’y avait pas de combat, c’était plus Sous Verdun, un autre recueil – et puis le rapport au quotidien. Ce sont des tranches de vie. Souvent les spectateurs me disent “On a compris ce qui se passait dans les tranchées”, donc il y a aussi un devoir de mémoire. Ce n’est pas anodin que le spectacle soit labellisé par les missions du Centenaire, il y avait une volonté d’ouvrir à tous les publics aussi. Que cent ans après, on puisse se dire : “Voilà ce que ces hommes ont vécu” – les femmes aussi, les femmes qui étaient seules -, et ça, ça m’importe en tant que metteur en scène et interprète d’avoir un message (un temps). Là, je fais un lien avec l’actualité, je ne pensais pas du tout commencer l’année avec ce qui s’est passé, et donc … Je voulais revoir Bernard Maris … donc ça continue aussi pour Sylvie Genevoix et Bernard Maris. Et aussi pour Julien Larere Genevoix, qui est le petit-fils de Maurice Genevoix, qui est venu à la première, et qui m’a dit “Allez, on y va” – je ne le connaissais pas, pareil -, et on continue l’aventure. Ca, ça fait plaisir aussi. Il était là au premier rang (rire). Ce n’est pas évident, quand on a le petit-fils, on lit le texte de son grand-père. J’ai une responsabilité citoyenne par rapport à ce spectacle.

Ne devient-on pas trop schizophrène quand on joue et on se met en scène en même temps ?                                                                                                                                                             J’ai un regard extérieur quand même : Delphine Darvenne, qui travaille avec moi. C’est plus qu’une collaboratrice, ça fait vingt ans qu’on se connaît, elle a été l’oeil extérieur aussi sur d’autres spectacles musicaux, sur des solos que j’ai pu faire avec Prévert, sur le texte “Enfance de l’art”, ou, dernièrement, l’hommage qu’on avait rendu à Claude Nougaro. Et non, parce que quand je rentre en scène, je suis l’interprète. Tout le texte de mise en scène a été fait avant, et c’est comme si j’avais oublié … Alors, on ne devient pas schizophrène, parce qu’heureusement, il y a l’oeuvre, mais c’est une gymnastique. Enfin finalement, ça rejoint ce que je disais tout à l’heure par rapport au fait d’enseigner. Quand j’enseigne, je suis en même temps un metteur en scène et un pédagogue, et mes élèves sont les acteurs. Je n’envisage pas d’être metteur en scène sans être “interprète” – alors il peut y avoir certains spectacles que je mets en scène et dans lesquels je ne joue pas ; et peut-être qu’un jour je ne serai plus sur le plateau -, mais pour pouvoir parler aux acteurs, en tant que metteur en scène, il faut connaître un peu ce qui se passe là (désignant le plateau autour de lui) : le trac, le souffle, le corps, les émotions, etc. Non, non, ça va, pour l’instant ça va (rires).

J’avais découvert ton travail avec Les Copains d’abord qui est très différent. Aimes-tu à te surprendre ?                                                                                                                                             Oui, j’adore. Quand on voit Brassens l’anarchiste, quand on chante “Le Gorille” avec mes deux acolytes Erikel et Ludo Cabosse – on continue ce spectacle, on part en Suisse à la fin du mois. D’ailleurs, c’est un grand plaisir de les retrouver sur le plateau, parce que ce sont des textes difficiles (nldr : les textes extraits de Ceux de 14), donc il faut réussir à avoir un sas où on  ressort. Mais voilà : pourquoi pas chanter Brassens et dire Maurice Genevoix ? C’est vrai qu’on pourrait se dire que c’est une bascule … Je suis un interprète au service d’un texte. Et Brassens, je l’envisage aussi comme un “poète” – ce que disait Léo Ferré d’ailleurs, ou Brel. Donc c’est complémentaire, mais c’est très bien de passer d’un univers à l’autre. J’ai la sensation de ne trahir ni Brassens ni Maurice Genevoix. Ce qui est important dans mon travail ce sont les mots, et une chanson c’est un exercice différent – beaucoup plus court, beaucoup plus synthétique -, et ce pavé de Ceux de 14… Ce qui est important, c’est de transmettre la “langue française”. Je n’ai pas le texte sur moi, mais Bernard Maris avait écrit justement un texte entre Genevoix et Junger, et un moment il dit : “savourons ces deux mots : ‘langue française’ “. C’est magnifique, et ça a d’autant plus de poids aujourd’hui. C’est un spectacle qui est européen – il y a le drapeau de l’Europe. Peut-être je me suis posé cette question s’il ne devait pas également y avoir le drapeau français, ou si ça ne ferait pas trop. Finalement, on le retrouve dans la rampe “bleu-blanc-rouge”, mais pour moi c’est surtout l’Europe qui se dessine ; je suis Français et Européen. Il y a la guerre franco-prussienne – 1870 -, le premier conflit mondial – 14-18 -, puis la seconde guerre mondiale qui arrive, mais l’Europe s’est dessinée. D’ailleurs, dans la première partie, le drapeau était au lointain, et dans cette deuxième partie, il avance tranquillement. Donc ce sont des éléments minimalistes : des bougies, un journal – c’est important, “liberté d’expression” -, un drapeau, et puis des petits éléments – des fleurs, des symboles … Et puis, il y a un plaisir à lire ça, et tous les comédiens, même tous les hommes devraient le lire ce texte-là. C’est magnifique, c’est magnifique.

Photo : Matthias Turcaud

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Matthias Turcaud
Titulaire d'une licence en cinéma, d'une autre en lettres modernes ainsi que d'un Master I en littérature allemande, Matthias, bilingue franco-allemand, est actuellement en Master de Littérature française à Strasbourg. Egalement comédien, traducteur ou encore animateur fougueux de blind tests, il court plusieurs lièvres à la fois. Sur Toute La Culture, il écrit, depuis janvier 2015, principalement en cinéma, théâtre, ponctuellement sur des restaurants, etc. Contact : [email protected]

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