Théâtre
[Hambourg/Poznan] Hymne à l’amour de Marta Górnicka : Pologne hardchoeur

[Hambourg/Poznan] Hymne à l’amour de Marta Górnicka : Pologne hardchoeur

05 February 2018 | PAR Samuel Petit

Dans le cadre du Festival international du Thalia Theater, les Lessingtage, était présentée la plus jeune création de Marta Górnicka pour le Théâtre Polski de Poznan, Hymne à l’amour : un collage de d’extraits de textes hétérogènes interprêté par un choeur enragé. Une oeuvre qui a le mérite de montrer des permanences dans le renouveau de l’extrême-droite en Europe tout en montrant les spécificités nationales du discours populiste en Pologne. Une oeuvre intelligente, clairvoyante et qu’il serait bon que le plus grand nombre puisse voir, car utile pour penser notre passé et notre présent en tant qu’humain et qu’européen.

 

 

Lorsque le public pénêtre dans la salle, le choeur est déjà présent sur scène. On y voit tout d’abord comme une foule anonyme, raide et face-public. Celle-ci rentre très vite en action, au signal de Marta Górnicka qui les conduira pendant 50 minutes à la manière d’un chef-d’orchestre depuis la tribune des spectateurs. C’est moins cependant leurs actions individuelles que leur diversité physique évidente qui permettront de les identifier comme individus : des hommes et des femmes, un enfant, une jeune femme trysomique, quelques personnes de couleur, etc. qui pendant le temps de la performence crient, chuchotent, entonnent des chants patriotiques et marchent en cadences militaires.

Cette diversité visible contraste de fait avec les appels extatiques à l’unité, voire à l’uniformisation derrière le concept de nation. Le nationalisme serait la clef de la renaissance des nations. La mystique polonaise, comme le laisse percevoir d’entrée de jeu, puis régulièrement pendant le déroulé de la pièce, repose sur le concept de renaissance, de résistance à l’envahisseur : “La Pologne n’est pas encore morte” affirme l’hymne polonais. Ceci s’explique aisément du fait des nombreuses occupations et partitions par les puissances prussiennes, puis allemandes, russes et austro-hongroises que le pays a subi depuis l’émergence du sentiment national aux XVIIIème et XIXème siècles.

Cette Angry mob, qui est donnée à voir, rappelle sans doute aux Allemands les manifestants du mouvement Pegida, ces Wutbürger (citoyens de la colère ou de la rage) comme ils se laissent appeler Outre-rhin. Ainsi, les vagues nationalistes seraient transposables d’un pays à l’autre.

Cependant, le libretto s’attelle, à raison, à mettre en lumière certaines spécificités polonaises. Le discours sur la Shoah en est une illustration effidifiante : ainsi, à l’heure même où le Parlement polonais dominé par une majorité réactionnaire vient de voter une loi condamnant à trois ans de prison quiconque parlerait de “camps polonais”, c’est ici la voix d’un révisionnisme populaire qui se laisse entendre. Celui-ci se traduit par les positions confuses sur l’extermination et des liens avec l’Allemagne : Tout comme le poursuit l’agenda politique du PIS au pouvoir, Górnicka met en scène cette quête du renforcement de la “communauté polonaise, humaine nationale et innocente”. Haines anti-allemandes et antisémites qui finissent par se confondre dans une dénonciation d’une soumission fantasmée à d’ “infâmes mensonges judéo-germaniques”.

La Pologne souffre sans doute en effet d’un syndrôme particulier : celui du pays où la barbarie a pris des proportions inédites, sans que la question du statut de victimes ou de bourreaux des Polonais ne puissent être tranchées. Perprétateurs ? Initiateurs ? Suiveurs ? Dans quelles mesures et à quel moment ? On se souviendra qu’une partie de l’opinion publique polonaise s’était offusquée que le célèbre prosternement de Willy Brandt ait eu lieu devant le mémorial du Ghetto juif de Varsovie et non devant celui de l’insurrection polonaise de Varsovie de 1944. Il y a une volonté de revanche évidente, de reconquête mémoriale, pour cette foule de citoyens en colère ;  les appels au sursaut national se fait par des appels aux nettoyages ethniques qui, de manière très explicite, font écho à Auschwitz et se laisse percevoir comme la véritable matrice de l’extrême droite. Celle-ci même qui nie volontiers son existence ou la responsabilité polonaise dans le génocide. La pensée des masses réactionnaires n’est pas à une contradiction près.

Ce qui pourrait ne passer par sa simple lecture comme un texte confus ou exagêré se révèle sur scène tout à fait convaincant : Le jeu, ou plus précisément l’attitudes des 26 acteurs et actrices, laissent tout à fait percevoir l’honnêteté de ces personnes qui se voient, sans doute souvent à juste titre, comme des “individus moyens”, voire comme des victimes : “La véritable terreur, c’est l’injustice qui a fait que des personnes comme moi aient perdu foi en la démocratie et soient devenus des nationalistes”.

Comme le sous-titre du libretto l’indique, cette Hymne est écrit pour “orchestre, une chorale de peluches et les autres”. Ces peluches, comme le confie Górnika, sont inspirées de certaines apercues au cours des manifestations suites aux attentats de Bruxelles. Dans la mise en scène, celles-ci tiennent le rôle d’experts, de polémistes et d’agitateurs politiques, et renforcent ainsi le contraste permanent de l’image tout aussi fantasmée d’un choeur divers comme la société et qui ascène mécaniquement des chants et phrases réactionnaires ou ultra-catholiques.

Quand une peluche appelle : “Nous devons (…) assumer la responsabilité, d’entreprendre des changements dans cette Europe à nous. Nous sommes les meilleurs amis de l’Europe. Les meilleurs ! Et nous sommes les meilleurs européens !”, cela permet à la foule de reprendre des justifier du même coup des saillies catholiques messianiques, anti-élites européennes et islamophobes. Des citations de Goebbels, Hitler, Ben Laden et Al-Baghdadi se mélangent dans une folle rhétorique de la menace et du jusquauboutisme sans que l’on ne sache plus ce que le peuple veut dire. On se laisse seulement emporter, têtanisé, par ce torrent de haine.

Tout cela prend toutefois étonnamment sens avec les phrases empruntées au langage informatique (“Delete!”, “Live, live, live! Streaming!”). Internet apporte non seulement une accélération mais aussi une radicalisation du discours, doublé d’un surplus d’informations qui brouillent toujours plus la réflexion et le bon sens. Pourquoi ce qui est possible en ligne, comme une liberté d’expression absolue au mépris du respect de la dignité humaine, et tout ce qu’on peut un clic, ne le serait-il pas dans la vie rélle ? “La mémoire est comme un film, on peut l’éditer. Erase, erase, erase, erase.”

La pièce voit juste en ce qu’elle met en exergue deux aspects fondamentaux de la stratégie de ces courants extrémistes pour leur conquête du pouvoir : la contestation de la vérité telle qu’on la connaissait jusqu’ici et ainsi que celle du statut de victime qui, selon eux, une fois retrouvée, légitimerait leur aspiration à l’usage de la violence politique.

© Magda Hueckel/Hueckel-Studio

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