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“Grand ReporTERRE #6” : Aurélie Van Den Daele renouvelle le genre journalistique

“Grand ReporTERRE #6” : Aurélie Van Den Daele renouvelle le genre journalistique

23 February 2023 | PAR Julia Wahl

Le Théâtre du Point du Jour de Lyon programme ce soir et demain le sixième volet du projet Grand ReporTERRE, consacré à l’agroalimentaire.

La mise en scène de l’actualité

Le Théâtre du Point du jour se situe dans le cinquième arrondissement de Lyon. Voilà trois ans, Eric Massé et Angélique Clairand obtiennent la co-direction du lieu en développant une idée forte : faire entrer l’actualité sur scène. C’est ainsi que naît en janvier 2020 le programme Grand ReporTERRE, qui réunit sur un même plateau journalistes et artistes autour d’un commun sujet d’actualité. Après la désobéissance civile, les mouvements citoyens au Burkina-Faso ou l’omerta autour du viol, c’est au “système médiatique et politique de l’information” que s’intéresse cette nouvelle édition. Pour aborder ce thème éminemment ardu, Eric Massé et Angélique Clairand ont invité la metteuse en scène Aurélie Van Den Daele. Intéressée par la place accordée aux vivants (elle insiste sur le pluriel), l’actuelle directrice du Théâtre de l’Union à Limoges a fait appel à deux journalistes, Hélène Servel et Morgan Large.

Hélène Servel et Morgan Large sont toutes les deux des journalistes locales. La première est journaliste indépendante et travaille notamment pour le média Marsactu, situé cdans la région marseillaise. Elle-même originaire d’Arles, elle écrit tout particulièrement sur les conditions de vie et de travail des ouvriers détachés dans l’agriculture du Sud de la France. Morgan Large, pour sa part, vit et travaille en Bretagne. Elle a créé l’émission “La Petite Lanterne” au sein de la radio Radio Kreiz Breizh et y a diffusé des reportages sur la pollution aux algues vertes et les conséquences sanitaires et environnementales de l’élevage porcin intensif.

La Bretagne et la Camargue, par-delà les différences

L’un des objets de la performance est de mettre en évidence les points communs comme les différences entre ces deux journalistes d’investigation. La structure de la soirée est ainsi pensée en deux temps, qui dressent de fait un parallèle entre les deux parcours. Dans le premier, le public suit chacune des journalistes dans son enquête et les scandales qu’elle a mis au jour. Dans le second, il assiste à un échange au cours duquel elles évoquent les menaces, agressions et intimidations auxquelles chacune a dû faire face. Cette organisation souligne l’impact commun de leurs enquêtes sur leur vie quotidienne.

Quant aux différences, c’est plutôt dans la première partie qu’elles apparaissent : Aurélie Van Den Daele a fait le choix de proposer un dispositif déambulatoire. Le public est ainsi divisé en deux groupes, dont l’un va suivre les enquêtes bretonnes de Morgan Large, tandis que le second se plonge dans les recherches de Hélène Servel.

Le procédé fonctionne et parvient finalement à faire entendre, y compris dans cette opposition apparente, ce qui relie les scandales. Dans les deux cas, une mort évitable : celle de Thierry Morfoisse, en Bretagne, empoisonné par l’hydrogène sulfuré émis par l’algue verte ; celle d’Elio Maldinado, dans le Sud, mort de déshydratation alors qu’il travaillait aux champs, son patron ayant refusé de lui donner à boire. A ces deux morts s’associent l’omerta, le déni des grands agriculteurs comme des élus locaux et les intimidations dignes des pires groupes mafieux.

Une diversité de matériaux

Pour donner à voir et à entendre ces horreurs, Aurélie Van Den Daele  a travaillé avec les matériaux propres à chacune des deux journalistes.

La partie consacrée à Morgan Large nous emmène ainsi du côté d’un studio de radio, d’où sont diffusés de nombreux enregistrements, pour certains inédits, de ses échanges avec ceux qui voudraient bien la voir cesser son enquête. La performeuse Lauryne Lopes de Pina vient entrecouper ces “émissions” de questions qui pourraient être celles du public.

Le moment qui s’intéresse à Hélène Servel accorde une large place à la musique, la journaliste jouant sous nos yeux du violoncelle ou entonnant une chanson espagnole scandée sur le Vieux-Port de Marseille en soutien aux ouvriers agricoles employés par Terra Fecundis, la société d’intérim à l’origine de la mort prématurée d’Elio Maldinado. Dans un nouveau jeu de questions-réponses, mené cette fois par Sidney Ali Mahelleb, elle évoque de manière générale les terribles conditions de travail et d’hébergement de ces travailleurs précaires.

La variété des matériaux, l’échange final entre les deux journalistes font de cette performance une forme de reportage théâtral. Si le mot “reenactement” est utilisé par Sidney Ali Mahelleb lors d’un slam liminaire, c’est bien plutôt à un nouveau type de témoignage journalistique que nous assistons ici. La présence physique des deux principales protagonistes donne de la chair au genre du reportage. La part d’improvisation qui leur est laissée leur permet de faire montre de spontanéité. C’était leur première fois sur un plateau de théâtre, et nous les suivons avec intérêt et curiosité, attentif.ves au fond de ce qu’elles disent comme à ces moments d’émotion, sobre, mais réelle, que nous partageons.

Visuel : © Betrand Gaudillère

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Julia Wahl
Passionnée de cinéma et de théâtre depuis toujours, Julia Wahl est critique pour les magazines Format court et Toute la culture. Elle parcourt volontiers la France à la recherche de pépites insoupçonnées et, quand il lui reste un peu de temps, lit et écrit des romans aux personnages improbables. Photo : Marie-Pauline Mollaret

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