Théâtre
[FMTM IN] Les femmes qui plantaient des ombres

[FMTM IN] Les femmes qui plantaient des ombres

25 September 2019 | PAR Mathieu Dochtermann

Dans la programmation IN du Festival Mondial des Théâtres de Marionnettes on a eu le grand plaisir de découvrir le travail de la compagnie Les Chiennes Savantes. Leur spectacle s’intitule L’homme qui plantait des arbres, d’après Jean Giono. Leur adaptation du texte se fait principalement en théâtre d’ombre, même s’il y a aussi de l’adresse directe de la comédienne-narratrice. La technique est bien maîtrisée et les images projetées sont très belles: elles donnent de la couleur à ce texte extraordinaire, cette fable écologique et humaniste simple et infiniment touchante. Un petit moment d’enchantement.

Fable écologique visionnaire et poétique

L’homme qui plantait des arbres de Jean Giono, écrite en 1953, est un texte visionnaire, une fable magnifique d’humanité, d’amour de la vie, d’espoir. On y trouve bien avant l’heure, et évoquée avec une poésie puissante, le thème de l’importance de la préservation de la Nature, pour le bien-être humain.

C’est l’histoire, simple et forte, d’un berger dont le travail repeuple d’arbres les flancs d’une montagne presque désertique, au milieu d’une région où la seule subsistance des populations est le charbonnage du bois. Le narrateur, perdu ou en quête de lui-même, fait sa rencontre, est témoin de son travail, de sa modestie, de l’ampleur de sa vision. Quelques années plus tard, la guerre est passée par là, mais le patient ouvrage du berger a porté ses fruits: la vallée s’est repeuplée, la montagne est luxuriante.

Un très beau travail d’ombre

Ce récit humaniste, la compagnie Les Chiennes Savantes choisit de l’adapter sans le trahir, à travers un théâtre d’ombre et d’acteur, complété par musique et bruitage créés en direct. Le texte a dû être un peu coupé, l’interprète Charlotte Talpaert porte le récit à la première personne en le féminisant, mais l’essence du texte est respectée. On retrouve la poésie, le caractère contemplatif, l’irrévérence discrète pour tout ce que le Progrès amène de destructions et pour tout ce que l’intervention de l’administration peut entraîner d’absurdités.

La poésie des images délicates projetées sur l’écran construit un ailleurs fragile et lointain, qui se remplit de couleurs quand la Nature renaît. Les objets et silhouettes sont suffisamment fins pour être clairs et beaux, mais suffisamment naïfs pour laisser la place à l’imagination de tous les possibles. Pour une bonne part, les ombres ont été faites par des images imprimées sur calque, et le résultat est très convaincant en termes de rendu.

La manipulation de l’ombre est très joliment faite, par Charlotte Talpaert et par Rebecca Forster. Elles ont limité la surface de projection à un petit écran monté en castelet, mais elles utilisent à plein toutes les techniques de l’ombre, mettant à profit le champ dont elles disposent pour reculer, mêlant les silhouettes, jouant des échelles, animant le décor monté sur rouleaux pour donner l’équivalent de l’effet d’un plan travelling au cinéma.

Du beau jeu et du beau son, au service du sens

Ce visuel très poétique, qui est l’espace de ce qui existait dans le passé et est raconté, fait des allers retours avec le présent de la narration. La comédienne se décagoule alors, et vient s’adresser directement au public, tantôt à voix nue, tantôt en employant un micro sur pied. On avoue ne pas avoir saisi ce que le micro apportait à ce moment. Et on relèvera à cet endroit le seul point qui nous a gêné dans la réception du spectacle: parfois, la comédienne-narratrice, pendant ces phases d’adresse directe, est interpellée par les deux autres interprètes au plateau, donnant lieu à des dialogues qui nous ont semblé absolument inutiles et pour tout dire maladroits.

Le reste du temps, la prise de parole est tout-à-fait juste. Une partie de la narration est par ailleurs pré-enregistrée par la comédienne et diffusée pendant qu’elle manipule, mais sans que cela dérange.

La présence de Julie Cronier à cour apporte énormément au spectacle, même si elle est dos au public pendant toute la représentation: en effet, elle bruite le spectacle en direct, et produit également une partie de la musique. Cette texture sonore très travaillée ajoute énormément au plaisir des images. Une partie de la réussite de cette proposition tient au décalage entre le bruitage réaliste, et les images qui sont beaucoup plus symboliques et poétiques.

Les Chiennes Savantes ont conçu là un spectacle qui parle autant aux adultes qu’aux ados, sur un sujet éminemment contemporain, avec une poésie lumineuse qui transfigure la façon de parler de l’importance de l’écologie. Une fable philosophique, donc, mais surtout poétique et sensible, joliment porteuse d’optimisme.

Pour suivre ce spectacle, on peut se rendre le 24 octobre à la Maison folie Moulin Lille, ou du 18 au 21 novembre dans la communauté de communes du Val d’oise.

 

Avec : Julie Cronier (musique et bruitage), Rebecca Forster, Charlotte Talpaert (manipulation, jeu et chant) ; Regard extérieur : Anne-Gaëlle Ponche ; Construction : Fred Sintomer, Vincent Herlemont, Charlotte Talpaert ; Photo : Simon Gosselin

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Mathieu Dochtermann
Passionné de spectacle vivant, sous toutes ses formes, des théâtres de marionnettes en particulier, du cirque et des arts de la rue également, et du théâtre de comédiens encore, malgré tout. Pratique le clown, un peu, le conte, encore plus, le théâtre, toujours, le rire, souvent. Critère central d'un bon spectacle: celui qui émeut, qui touche la chose sensible au fond de la poitrine. Le reste, c'est du bavardage. Facebook: https://www.facebook.com/matdochtermann

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