Théâtre
Etienne A. pour le ParisOFFestival: une fourmi dans un entrepôt Amazon

Etienne A. pour le ParisOFFestival: une fourmi dans un entrepôt Amazon

15 July 2020 | PAR Chloé Hubert

Dans le cadre du ParisOFFestival organisé par le Théâtre 14, Florian Pâque, au texte et à la mise en scène, propose une pièce sociale qui dépeint le 24 décembre d’un travailleur de Amazon. Entre les colis et les impératifs familiaux, Etienne A. interprété – comme c’est le cas de l’ensemble des personnages – par Nicolas Schmitt nous charme par sa lucidité et sa poésie.

Anonymes

Avec Etienne A., Florian Pâque, accompagné des compagnies du théâtre de l’éclat et Le nez au milieu du village, met en scène un anonyme comme ils sont nombreux. D’Etienne A., on ne connaîtra pas le nom mais nous connaîtrons l’emploi : préparateur de commande – en CDI, “ils sont nombreux à en rêver !” – chez Amazon. On glisse alors dans l’ordinaire de son existence et dans l’organisation de son 24 décembre, à bord de sa Citroën ZX Tonic. Entre son ex-femme qui travaille chez Patàpain,  son nouveau mari manager dans “la grande famille Amazon”, son fils et son père, Etienne A. se prend à rêver d’une autre existence loin des colis. Il décide alors de s’enfermer dans un des cartons non réclamés renvoyés à l’entrepôt et d’attendre, lui aussi, d’être enfin réclamé. 

Fourmilière

À la question de son fils “papa, c’est quoi ton métier ?”, sa réponse, sans attendre, est la suivante: “fourmi”. Une fourmi parmi les centaines qui composent la fourmilière Amazon. À ce mot qui nous fait esquisser un sourire triste, son fils à l’inverse s’esclaffe. Il rétorque que c’est génial une fourmis, qu’il a appris la fable à l’école et que la maitresse leur a dit que s’ils travaillaient bien plus tard, ils seraient des fourmis. Des fourmis ouvrières qui ne chantent ni ne dansent, mais qui courent, courent après le temps.

Chronophage

C’est sur sa recherche que s’ouvre d’ailleurs la pièce. Au milieu des cartons disposés comme dans un entrepôt, Nicolas Schmitt en Etienne A. éructe contre l’absence de temps. Vous trouverez de tout ici dans ces cartons, des enjoliveurs, des ratons laveurs qui bougent la queue quand on les met au soleil, des fournitures scolaires, ou des bibelots en tout genre, mais pas de temps. On prend son chariot, son bon de commande, son paquet, on scanne et on recommence. Les objectifs sont fixés et doivent être atteints, il n’y a pas de temps à perdre. Même une fois rentrée, la tâche continue en rêve. Et puis on se réveille et on recommence le lendemain, même si c’est le 24 décembre, pour expédier à temps des colis qui seront en retard de toute façon. Nous-même, nous ne pouvons nous empêcher de garder un oeil sur l’horloge digitale murale qui trône au centre de la scène où les secondes s’écoulent au cours de la pièce.

Asphyxie

 

Cette asphyxie qui résulte du temps qui file et qui échappe au personnage nous est parfaitement restituée par la cadence de la mise en scène de Florian Pâque. Seul sur les planches, Nicolas Schmitt démontre son talent en faisant dialoguer tour à tour son personnage avec son manager, son ex-femme, son père ou sa grand mère. A peine essoufflé, nous le sommes pour lui tant il virevolte entre ses interprétations et ses impératifs: aller chercher le gamin, passer rendre visite au père mal en point, en profiter pour faire des courses au Lidl sur le passage… le tout entre deux services à l’usine. Parce que oui, appelons ça une usine, et appelons ces travailleurs des ouvriers, non pas des opérateurs, des collaborateurs ou des techniciens. 

En lutte

Cette pièce qui nous évoque immédiatement Sorry We Missed You de Ken Loach, par son objet même et cette empathie pour le personnage d’Etienne, s’inscrit dans le sillage d’une littératures ouvrière plus large. On pense aussi à À la ligne, publié l’année dernière par Joseph Ponthus, ouvrier lui-même. En effet, ce sont les même détails qui reviennent: les ampoules à cause des chaussures de sécurité – il faut prendre deux tailles au dessus parait-il – le dilemme sur ce qu’il faut manger le matin en rentrant de l’usine après son service : bol de céréales ou hachis Parmentier ? Pour autant si la pièce est dure dans la réalité qu’elle dépeint, elle n’est pas dénuée d’une forme de poésie. Ne serait-ce que dans le projet: s’enfermer dans un carton à l’entrepôt, et attendre d’être expédié ailleurs… en chantant, telle une cigale.

Visuel: Photo officielle ©

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Chloé Hubert

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