Théâtre
Erzuli Dahomey, déesse de l’amour fait exploser les carcans familiaux et intimes au Vieux-Colombier

Erzuli Dahomey, déesse de l’amour fait exploser les carcans familiaux et intimes au Vieux-Colombier

22 March 2012 | PAR Christophe Candoni

Que se cache-t-il derrière le titre de la pièce du dramaturge d’origine haïtienne Jean-René Lemoine qui vient d’être créée au Théâtre du Vieux-Colombier ? “Erzuli Dahomey, déesse de l’amour” est une pièce au moins aussi énigmatique et intrigante que l’entité vaudou qui l’a inspirée. Son intrigue est touffue, empreinte de mystère. Le surnaturel y fait bon ménage avec le polar, la comédie cohabite avec le drame. Cette diversité des tons est bien rendue dans la mise en scène inventive et astucieuse mais pas suffisamment débridée et manquant de folie d’Eric Génovèse, sociétaire de la Comédie-Française.

L’atmosphère est calme, très calme, trop calme dans la maison de Victoire où règne une ambiance sombre et sinistre, où le deuil du fils Tristan éclipse toute possibilité de vivre, où le brouhaha de la télévision allumée au loin et la sonnerie intempestive du téléphone n’effacent pas un lourd et pesant silence. C’est dans les coins et recoins de la scénographie, fort bien pensée par Jacques Gabel, que tout se passe, en cachette, à l’abri des regards. Entres les murs mouvants qui apparaissent et disparaissent, on découvre furtivement de bien étranges personnes : la mère, femme sèche et peu aimante, actrice frustrée et névrosée (Claude Matthieu), le curé, pédophile aux tendances homosexuelles (excellent Serge Bagdassarian), les jumeaux aux relations quasi incestueuses (Françoise Gillard et Pierre Niney). Ces-derniers sont un peu trop mignons, c’est le principal défaut de la mise en scène qui reste à la surface de la part de monstrueux que contient chaque personnage et pourrait creuser beaucoup plus loin.

Le propos de la pièce est intéressant mais bizarrement construit. Les scènes sont très courtes et les coupures trop nettes. Même si tous les ressorts du plateau sont mis en branle, des cintres aux trappes, pour faciliter les enchaînements, les temps morts sont nombreux et les éléments s’installent lentement, de manière hachée. L’entrée ou plutôt l’intrusion de l’Afrique en la personne du comédien Bakary Sangaré travesti en femme pour jouer le rôle de Félicité redonne des couleurs à cette ambiance morose. La femme vient réclamer le corps de son fils mort. Celui-ci a été enterré à la place de Tristan et hante les membres de la famille. Ces scènes pleines de mystères sont les plus réussies. L’étonnant Nazim Boudjenah donne corps au fantôme de West. Intégralement dénudé et peint, il est cette figure quasi silencieuse, à la fois menaçante et attirante, qui fait l’effet d’une bombe en révélant aux personnages leur part de refoulement et propulsant leur secret au jour.

Dans cette galerie de personnages, il ne faudrait oublier la bonne Fanta. Elle est interprétée par Nicole Dogué qui rejoint pour cette pièce la troupe du Français et apporte beaucoup au spectacle. Elle est de bout en bout absolument juste et subtile aussi bien dans le registre de la complainte de la femme noire qui rêve d’être blanche pour dépasser sa condition que dans celui de la révolte jusque là contenue qui se formule sur un ton explosif, jubilatoire et pathétique dans la deuxième partie. A côté, la comédienne Claude Matthieu paraît décidément trop théâtrale.

Crédit photo : Christophe Raynaud de Lage

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Christophe Candoni
Christophe est né le 10 mai 1986. Lors de ses études de lettres modernes pendant cinq ans à l’Université d’Amiens, il a validé deux mémoires sur le théâtre de Bernard-Marie Koltès et de Paul Claudel. Actuellement, Christophe Candoni s'apprête à présenter un nouveau master dans les études théâtrales à la Sorbonne Nouvelle (Paris III). Spectateur enthousiaste, curieux et critique, il s’intéresse particulièrement à la mise en scène contemporaine européenne (Warlikowski, Ostermeier…), au théâtre classique et contemporain, au jeu de l’acteur. Il a fait de la musique (pratique le violon) et du théâtre amateur. Ses goûts le portent vers la littérature, l’opéra, et l’Italie.

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