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“Enterre-moi mon amour” de Clea Petrolesi au Théâtre Paris-Villette : des photos et des messages WhatsApp pour rendre compte des migrations syriennes

“Enterre-moi mon amour” de Clea Petrolesi au Théâtre Paris-Villette : des photos et des messages WhatsApp pour rendre compte des migrations syriennes

09 March 2020 | PAR Julia Wahl

Le Théâtre Paris-Villette propose du 6 au 21 mars le spectacle Enterre-moi mon amour, de Clea Petrolesi, inspiré de l’article de Lucie Soullier “Le voyage d’une migrante syrienne à travers son fil WhatsApp”, paru dans Le Monde en décembre 2015.

Pour rappel, cet article rendait compte du voyage de Syrie en Allemagne de deux migrants syriens, Dana et Kholio, en suivant les messages qu’ils envoyaient à leurs amis et parents restés au pays à travers la messagerie WhatsApp. Avec, pour ce fil de conversation, le double objectif d’informer et, le cas échéant, de cacher les inquiétudes et difficultés de la traversée.

Pour nous plonger dans cette saturation d’images et de messages qui accompagne la difficile Odyssée de Dana et Kholio, Clea Petrolesi, qui signe ici sa première mise en scène, a fait appel à la scénographe Agathe Zavaro et, surtout, à la photographe Caroline Gervay, qui fait des photographies échangées dans les fils de conversation de véritables œuvres d’art. Ainsi, elle extrait sa narration de la simple actualité et l’élève au rang de possible dramatique et scénique.

Aussi le public est-il accueilli dans l’obscurité par des ombres qui se découpent sur une vitre occupant presque la moitié de la scène. Le jour se faisant, ces ombres se transforment peu à peu en deux êtres humains portant chacun un K-Way, rouge pour l’un, jaune pour l’autre. Face à cette vitre-écran, une autre vitre qui servira d’espace de projection de photos ou des messages WhatsApp, dont les abondants smileys (cœurs, clins d’œil, bouches en cœur), dans ce qu’ils ont de rassurant, contredisent régulièrement l’anxiété que les deux migrants manifestent quand ils s’expriment par la bouche des acteurs, Loup Balthazar et Benoît Lahoz. L’une des qualités de la mise en scène est donc de rendre compte, sans l’appuyer, de l’écart entre ce qui est écrit et ce qui est ressenti.

Toutefois, le spectacle repose surtout, on l’aura compris, sur la beauté des images projetées, qui en deviennent de – les ? – véritables personnages. Plus que le périple lui-même, ce sont bien ces images, ce qu’elles disent et ce qu’elles cachent, qui sont les sujets de la pièce. Cette préoccupation devient constitutive du spectacle puisque la photographe s’y est vue offrir son premier rôle d’actrice et que, surtout, nombre de photographies sont développées en direct avant d’être punaisées sur un mur noir.

On remarquera ici que le fameux article de Lucie Soullier se prête décidément à des interprétations scéniques diverses et fécondes, puisque c’était là le sujet de l’une des micro-pièces du spectacle participatif Still in Paradise, accueilli l’an passé au Nouveau Théâtre de Montreuil et monté par Yan Duyvendak et Omar Ghayatt sous forme de théâtre d’objets.

Peut-être pouvons-nous toutefois noter que la pluralité des matériaux de la mise en scène, comme des intermèdes, loin de lutter contre les risques de décrochage du public, a tendance à le perdre. Ainsi en est-il du passage où Loup Balthazar interprète – avec bonheur, il faut le souligner – un camelot vendant des gilets de sauvetage avec force boniments, des réflexions sur notre rapport à l’image engagée inspirées de Susan Sontag ou d’interviews de collégiens. Cet éparpillement nuit quelque peu à la tension dramatique mais parvient, de ce fait, à conjurer les risques d'”émoussement de la conscience” (expression, précisément, de Susan Sontag) qu’aurait offert un spectacle trop tire-larmes.

Les prochaines dates du spectacle :

Théâtre de l’Escabeau, Briare (28 et 29 mars 2020)
Théâtre Jean Vilar, Vitry-sur-Seine (20 avril 2020 – ouverture du Festival Les Transversales)
La Barbacane, scène conventionnée de Beynes (6 novembre 2020)

Visuel : Mathieu Edet

Infos pratiques

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À La Commune d’Aubervilliers, “Nana n’attrape pas la variole” parle des genres, des individus, et des corps.
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Julia Wahl
Passionnée de cinéma et de théâtre depuis toujours, Julia Wahl est critique pour les magazines Format court et Toute la culture. Elle parcourt volontiers la France à la recherche de pépites insoupçonnées et, quand il lui reste un peu de temps, lit et écrit des romans aux personnages improbables. Photo : Marie-Pauline Mollaret

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