Théâtre
Duras : La reine Marguerite en 2 pièces à l’Athénée

Duras : La reine Marguerite en 2 pièces à l’Athénée

10 November 2011 | PAR Yaël Hirsch

Jusqu’au 26 novembre, le théâtre Louis Jouvet offre à ses spectateurs deux pièces de Marguerite Duras, à l’heure où cette grande figure des lettres françaises entre dans la Pleiade. Dans la grande salle, la perle de son répertoire, Savannah Bay (1983) et perchée dans la salle Christian Bérard, une pièce moins connue “Le Shaga” où l’on retrouve Duras dans son thème de prédilection : le tâtonnement des mots autour des sens, mais dans un répertoire aussi absurde que joyeux. Deux mises en scènes sobres, où le texte est porté dans sa nudité par des comédiens d’exception.

Écrite pour Madeleine Renaud et mise en scène par Duras elle-même au Théâtre du Rond-Point en 1983, Savannah Bay concentre tous les thèmes durassiens, avec à la fois profondeur et économie : exotisme, recherche du “mot-trou” pour dire, sensualité, identité et mémoire. Difficile de passer après l’auteure pour mettre en scène cette rencontre au sommet entre une acienne comédienne dont la mémoire flanche et d’une jeune-fille qui vient l’interroger sur l’amour fou d’une jeune-femme de 17 ans, morte probablement suicidée après avoir donné naissance au fruit de cet amour si entier qu’il n’y a pas d’autres mots pour le décrire. Pas de mots, car ils sont tous mensonges, surtout portés comme des masques  par des comédiens. Les lieux, eux, et leur déplacements mentent un peu moins. Au cœur de “Savannah Bay”, il y a la “pierre blanche” où le couple s’est isolé. Pierre blanche que le metteur en scène, Philippe Sireuil e suspendu en néon au dessus d’une scène en bois entièrement dénudée. Seul un grand fauteuil art nouveau sert de point de repères aux deux comédiennes sobrement vêtues d’imperméables et disparaissant presque derrière leurs paroles. Dans le rôle de la vieille comédienne, Jacqueline Bir impose son charisme, même si parfois l’ombre de Madeleine Renaud semble peser sur ses épaules. Et dans celui de la jeune-femme, Edwige Baily offre une voix de petite fille qu’elle laisse grandir tout au long de son jeu, comme si  la pièce était un rite de passage chaque jour répété. Laissant toute la place au texte puissant de Duras, les deux actrices lui rendent un bel hommage. Le public se noie avec délices dans “Savannah Bay”, même si parfois l’on peut regretter que la pièce soit plus joué comme du Sarraute détaché que comme du capiteux Duras.

“Savannah Bay”, de Marguerite Duras, mise en scène Philippe Sireuil, avec Jacqueline Bir et Edwige Baily, 1h20.

Au 4 e étage de l’Athénée , dans la petite et précieuse salle Christian Bérard, l’on peut voir une pièce plus ancienne et moins connue de Marguerite Duras: “Le Shaga” (1968). Emotion, c’est une des comédiennes de la version originelle de la pièce, Claire Deluca qui met en scène et joue l’un des trois personnages de cette “lecture-spectacle”. Fond bleu sobre, vêtements années 1970 et bidon d’essence vide sont les seuls accessoires qu’utilisent les 3 excellents comédiens pour incarner pleinement le texte joyeux et joueur de Duras. La Shaga, c’est un langage étrange que se met à parler la jeune et jolie B (Karine Martin-Hulewicz). Le seul mot de français qu’elle a retenu c’est “Terminé!” Heureusement, cela ne l’empêche pas de chanter et de se réjouir. Ni de comuniquer avec une de ses voisines, A (Claire Deluca) qui comprend tout et  traduit même pour un troisième interlocuteur,C (Jean-Marie Lehec), arrivé là par hasard, sa voiture étant en panne d’essence depuis 20 ans. Le sabir sifflotant de B inspire C qui se déclare en verve et prêt à raconter l’histoire de l’oiseau qu’il a su faire parler : “C’est moa”. L’on rit beaucoup face à cette pièce absurde, grâce aux mimiques et au débit impeccable des comédiens. Un rire aussi communicatif qu’intelligent puisqu’il fait réfléchir sur le langage et la communication. Ce thème, si cher à Duras, perd ici l’aspect mystique qu’il peut avoir dans “Savannah Bay” ou dans un roman comme “Lol V. Stein” (1964). Karine Martin-Hulewicz parle Shaga avec un naturel éblouissant, Jean-Marie Lehec joue les vieux sages populaire avec une bonhommie irrésistible, tandis que plus bougonneuse ey anguleuse, Claire Deluca joue les interprètes critique avec maestria. Le trio vit vraiment pour et avec le public ce que Marguerite Duras appelait “la pièce la plus folle que j’aie jamais écrite”. Un texte qui pourrait paraître bien abstrait et qui pourtant se transmet par le jeu des corps. On passe 45 minutes absolument délicieuses et ressort en souhaitant nous aussi communiquer en “Shaga”.

“Le Shaga”, de marguerite Duras, mise en scène : Claire Deluca, avec Claire Deluca, Jean-Marie Lehec, Karine Martin-Hulewicz, 45 min.

Visuel : Savannah Bay, copyright : Zvonock

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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