Danse
Là où les “Monstres” se révèlent anges: l’inquiétante chorégraphie marionnettique de Duda Paiva

Là où les “Monstres” se révèlent anges: l’inquiétante chorégraphie marionnettique de Duda Paiva

26 July 2019 | PAR Mathieu Dochtermann

Programmé au festival FIAMS 2019, le spectacle Monstres (Monsters) de la compagnie Duda Paiva a été pensé pour pouvoir être vu par des enfants à partir de 6 ans, mais il offre tout aussi bien de belles satisfactions aux adultes… Il s’agit évidemment de mettre en scène des monstres, dans une ambiance qui emprunte aux freaks shows du XIXe siècle. Evidemment aussi, les plus monstrueux dans cette histoire se révéleront être les humains. Au-delà de ce propos très convenu et d’une trame très explicative, le spectacle permet d’apprécier tout le talent plastique et chorégraphique de Duda Paiva.

Parmi les grands noms de la marionnette contemporaine, je demande Duda Paiva ! L’artiste s’est distingué avec ses marionnettes de mousse, à l’esthétique reconnaissable entre toutes, et son utilisation de la danse dans ses spectacles.

Marionnettes somptueuses autant que monstrueuses

Monstres ne fait pas exception à la règle, et les marionnettes mises en œuvres sont toutes absolument superbes. Comme à l’habitude, elles sont faites de mousse brute, parfois un peu peintes à l’aérographe, ce qui les rend légères, déformables, quelque part à mi-chemin entre irréelles et très réalistes. Le regard, autre marque de fabrique de l’artiste, sont incroyablement expressifs.

Le bestiaire proposé ici – inquiétants oiseaux, minotaure, femme-serpent – est d’autant plus étrange et troublant qu’il est littéralement habité par les manipulateurs. En effet, et c’est encore une spécificité de Duda Paiva, les marionnettes sont certes conçues pour être manipulées en prise directe, mais elles peuvent également être enfilées dans une mesure variable pour créer une confusion entre corps de l’interprète et corps de la marionnette.

De là naissent des monstres très convaincants, chimères effrayantes qui réalisent la fusion du réel et du fantasmé, de l’organique et de l’inanimé, de l’humain et de l’inhumain.

Fluidité chorégraphique

Le fait que les marionnettes, même portées à même le corps, soient à la fois souples et légères, permet aux interprètes des évolutions très libres, avec des mouvements très peu limités.

Ainsi peuvent-ils se lancer dans des pas de danse et des ballets très aériens. Le spectacle se charge en grâce et en énergie dans ces moments privilégiés. La danse dénoue les corps, fluidifie le mouvement des marionnettes, renforce l’illusion de la fusion entre les deux à mesure que les contours des silhouettes se brouillent.

Après tout, la manipulation marionnettique comme la danse sont affaire de corps, de rythme, d’appréhension de l’espace, et le glissement de l’une à l’autre, ou de l’une dans l’autre, n’est que naturelle.

Globalement, les chorégraphies sont bien exécutées, bien que les interprètes aient parfois quelque difficulté à s’arracher à la gravité. La manipulation est elle aussi assez juste, même si, à certains moments, le spectacle va chercher des positions de manipulation si inconfortables qu’elles finissent par ne plus être tenables, et cela rompt régulièrement le sortilège, ce qui est fort dommage. On salue au passage la manipulation extrêmement fine de Josse Vessies, qui réussit à insuffler une vie extrêmement incarnée à son minotaure, qui devient finalement émouvant à force de réalisme.

Une écriture un peu trop facile

Car toute la dramaturgie du spectacle tient à cette ambiguïté entre entre le monstre, d’apparence effrayante mais qui se révèle finalement capable de tendresse, et l’humain, d’apparence civilisée mais dont le fond est plus monstrueux que celui des créatures qu’il martyrise.

Non seulement cette morale est-elle assez peu riche ou surprenante, mais encore est-elle assénée de façon explicite et répétitive pendant le spectacle. C’est faire peu de cas de la capacité de compréhension des spectateurs, fussent-ils des enfants. Comme tous les spectacles trop explicatifs, Monstres déçoit dans sa manière de traiter son propos, qui aurait été tellement mieux servi par la seule force de l’empathie ressentie pour les personnages.

Au-delà, on est également un peu déçu par la recherche de la difficulté corporelle, qui semble assez gratuite, et ne valoir parfois que pour elle-même. Le metteur en scène met délibérément ses interprètes dans des situations de manipulation et d’incarnation corporelle très délicates : cela peut être intéressant, mais à condition de servir le propos ou la dramaturgie. Malheureusement, ce n’est pas le cas ici.

Un spectacle néanmoins très recommandable

Il n’est pas possible, pour autant, de nier le fait qu’il s’agit ici d’un spectacle de qualité, bien exécuté, globalement très plaisant. On se réfugiera derrière la maxime « qui aime bien, châtie bien », pour justifier avoir quelques remontrances à lui faire : en vérité, il est plus que recommandable. Le jeu avec la salle est plaisant – les spectateurs sont invités à participer modestement à l’histoire -, la mise en espace est bien faite, ainsi que la mise en lumière. La musique également ne prête pas trop le flanc à la critique.

Mais au vu du génie dont Duda Paiva fait montre dans d’autres spectacles, on ne peut complètement s’empêcher de ressentir une petite frustration à ce que Monstres n’atteigne pas des sommets, pourtant si proches.

L’essentiel des prochaines représentations de Monstres se dérouleront aux Pays-Bas en 2019, mais en revanche le public français pourra découvrir JOE 5 au Festival Mondial des Théâtres de Marionnettes à Charleville, les jeudi 26 et vendredi 27 septembre prochains.

 

DISTRIBUTION
DIRECTION ET CONCEPTION Duda Paiva
DRAMATURGIE Kim Kooiman
INTERPRÉTATION Tim Velraeds ou Alex Brouwer, Josse Vessies, Cat Smits
MISE EN SCÈNE Duda Paiva
MARIONNETTES Duda Paiva, Justyna Banasiak, André Mello, Tim Velraeds
DÉCOR Daniel Patjin
COSTUMES Atty Kingma
CONCEPTION SONORE Wilco Alkema
CONCEPTION ÉCLAIRAGES Mark Verhoef

Le réalisateur Mohammad Rasoulof condamné a un an de prison…
Le glacier Okjökull en Islande, va recevoir une plaque mémorielle en son honneur
Avatar photo
Mathieu Dochtermann
Passionné de spectacle vivant, sous toutes ses formes, des théâtres de marionnettes en particulier, du cirque et des arts de la rue également, et du théâtre de comédiens encore, malgré tout. Pratique le clown, un peu, le conte, encore plus, le théâtre, toujours, le rire, souvent. Critère central d'un bon spectacle: celui qui émeut, qui touche la chose sensible au fond de la poitrine. Le reste, c'est du bavardage. Facebook: https://www.facebook.com/matdochtermann

Publier un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Your email address will not be published. Required fields are marked *


Soutenez Toute La Culture
Registration